Un Boucher, un Charcutier,
Peu délicats dans leur métier,
Sur je ne sais quel point étaient en dissidence.
Le Boucher dit à l’autre : — « On sait que le cheval,
» Dans ta boutique, au porc fait rude concurrence. »
— « Ce n’est pas seulement en temps de carnaval
» Que la vache, chez toi, se montre travestie. »
Fit l’homme aux cervelas, prompt à la répartie.
Et l’un et l’autre ainsi, par la haine excités,
Se lançaient des lardons… Survint une Laitière,
Qui, plaisantant à sa manière,
Trouva qu’ils se disaient de bonnes vérités.
— « De quoi vous mêlez-vous, madame la Crémière ?
» S’écria le Boucher ; si ce n’est déjà fait,
» Allez, ma mie, allez baptiser votre lait. »
La femme lui répond : — » Je ne suis pas si bête,
» Le commissaire en chef, avec son l’Eaunymète,
» Pourrait m’en faire un mauvais cas. »
— « Le lactomètre pèse et ne définit pas,
Dit le boucher d’un air capable ;
» Vous le savez trop bien ; si vous n’êtes coupable
» De ce péché mignon, vous faites encore pis,
» Et vous réalisez, au lieu d’un, deux profits.
» Au lait, d’abord, vous enlevez sa crème,
» Vous la vendez à part, puis, rusée à l’extrême,
» A l’aide d’amidon, ou de blanc d’œuf battu,
» Vous redonnez au lait sa première vertu.
» Il peut ainsi fort bien se passer du baptême. »
Quelqu’un, d’une fenêtre, entend tout et se dit :
« L’avis est précieux, j’en ferai mon profit. »
Quand les fraudeurs entre eux se font la guerre,
Ils divulguent, parfois, quelques-uns de leurs tours.
Mais, malheureusement, cela n’arrive guère ;
Le public est leur dupe et le sera toujours.
“Le Boucher, le Charcutier et la Laitière”