Antoine Alfred Désiré Carteret
Un dimanche de juin les époux Bonichon
Allaient à pied passer la journée au village.
Monsieur trop gros, soufflait ; madame en frais jupon,
Lui parlait des oiseaux jouant dans le feuillage.
Azor fermait la marche ; et leur jeune héritier
L’ouvrait, tout glorieux d’une étrange casquette.
Pour prendre un papillon l’enfant soudain se jette
Dans un pré fort touffu qui longeait le sentier.
Son père l’aperçoit, et dans l’instant avise
Arrêté vers le bord, un homme en blouse grise,
Dont un chapeau de paille aux trois quarts effondré
Ombrageait les traits durs. A son regard outré
On le reconnaissait pour le maître du pré.
De sa lèvre un noir brûle-gueule
Il tempête, et sa voix ne retentit pas seule.
Le père crie : « Ah ! galopin ! « Ici, Charlot !
Comment, c’est ainsi qu’on m’écoute?
« Attends, je m’en vais te chercher ! »
Et là-dessus dans l’herbe il se fraye une route,
Pas étroite on le pense. « Oh ! pourquoi te fâcher ?
« Ménage-le, chéri ! » s’écrie alors la mère ;
Et zest ! aussi dans l’herbe ; autant en fait le chien
Qui saute, aboie, et revient en arrière
Pour repartir soudain. Ah ! le dégât va bien !
Cependant Bonichon ramène par l’oreille
Le gamin d’un air triomphant.
« Eh bien ! l’ami, » dit-il, « vous voyez que l’enfant
« Ne fait pas ce qu’il veut et que sur lui l’on veille.
« — Oui, » répondit l’homme, « merci !
« Bien travaillé ! j’ai là pour cent sous de dommage.
« Tenez, nom d’une pipe ! un jour revenez-y ! »
Ce disant, il lui mit son poing près du visage.
Le bourgeois indigné de ce geste outrageant…
Se contint et partit, passant du rouge au blême.
Un secours inintelligent
Peut nuire plus que le mal même.
“Le Bourgeois et le Rustre”