Depuis que Prométhée, ayant l’homme créé,
Eut dérobé pour lui et lui eut confié
Du feu céleste une parcelle,
Conserver ce souverain bien
Devint chez les humains la tâche essentielle :
De la précieuse étincelle La possession n’était rien ,
Il fallait en pouvoir assurer l’entretien.
Pour que le feu se renouvelle,
On s’avise aussitôt de différents moyens :
Ainsi vois-tu de ces humains
Qui, véloces.
Avec force
Frottent,
Qui frottent deux morceaux de bois,
Frottent, frottent, l’un contre l’autre :
C’était la mode d’autrefois.
De même on ne recourt plus guère,
Silex pyromaque ou meulière,
Silex noir, xyloïde, ou bien silex corné,
A la propriété qui t’est particulière,
Dont l’homme se montrait joyeux et étonné,
Qui est, lorsqu’on te frappe, aussitôt de donner
Ce feu dont sont originaires
Et la chaleur et la lumière.
Procédés ingénus, les morceaux de bois, l’ex-
Silex,
Ont fait place à d’autres recettes.
Qui n’a pas aujourd’hui sa boîte d’allumettes,
Risquerait d’être remarqué,
Ou, si la boîte lui manquait,
Gageons qu’il possède un briquet
Allumettes, briquet, on devine sans peine
Qu’entre eux s’il n’y a pas de haine,
Il n’y a pas d’amour non plus :
Leurs rapports sont plutôt tendus,
Elles et lui n’ont-ils pas même tâche ?
Or, c’est bien cela qui les fâche.
Pour décider, de leur emploi,
Qui le plus congrument s’acquitte, —
Moi je dis que c’est moi ! Moi je dis que c’est moi!…—
Ils vont consulter un arbitre.
Celui-ci, grave et sans émoi,
Allume
Et, jusqu’au bout, consume
Les allumettes ; après quoi
C’est le briquet, dont il poursuit l’incandescence,
Jusqu’à ce qu’il n’ait plus d’essence ;
Et maintenant, les allumettes aussi bien
Que le briquet, tout est éteint.
Alors entre eux apparaîtra la différence :
Sur l’allumette éteinte insiste, c’est en vain.
Le briquet, c’est une autre affaire :
Si tu le remplis à nouveau.
Aussitôt,
A nouveau il brûle et éclaire.
Il est des gens dont le cerveau paraît
En tout pareil à ce briquet ;
Par instants il se vide ; alerte ! De plus belle,
Ensuite il brillera d’une flamme nouvelle.
D’autres négligent ces apprêts ;
Ah ! ceux-là, tout ce qu’ils promettent !
Pourvu que cela dure !… Un vrai
Feu d’artifice ; mais après,
Il n’y a rien à en tirer :
Ce sont les vieilles allumettes.
“Le Briquet et les Allumettes”