Léon-Louis Buron
Au fond d’une rivière
Toujours limpide et claire,
Vivait en souverain un superbe brochet.
Aussitôt qu’il marchait,
Partout à la ronde
Craint et respecté,
Les habitants de l’onde
Faisaient place à sa majesté.
Est-il assez sot personnage
Pour refuser son hommage
A qui d’un coup de dent peut donner le trépas,
Et, de vous, faire son repas ?
Mais ce brochet un jour se lasse
D’une soumission si basse,
Trouvant que pour son appétit ;
Son empire est trop petit ;
Il passe la frontière
De sa rivière,
Et va déboucher dans la mer.
— Que l’Océan est amer,
Dit-il, en faisant la grimace.
Il faut pourtant que je m’y fasse.
Dieu ! que c’est grand ! Dieu ! que c’est beau !
Je suis né pour les grandes choses,
Voilà l’empire qu’il me faut,
Je veux régner sur les aloses…
Vraiment, je suis émerveillé…
Et plus encore effrayé,
Ajoute-t-il tout bas, car un requin immense,
Hélas ! vers lui déjà rapidement s’avance,
Et dans tout son corps passe, en voyant ce poisson,
Un mortel frisson.
— Ah ! brochet, mon ami, que tu fus téméraire ! —
Il voudrait, l’imprudent,
Retourner sur ses pas, afin de se soustraire
Au destin qui l’attend !
C’en est fait : c’est en vain qu’il gémit, qu’il soupire ;
Le requin l’a saisi !… Sous sa dent il expire,
Comprenant, un peu tard, que trop d’ambition
Bien souvent est funeste,
Et que toujours plus sûre est la condition
Même la plus modeste.
Léon-Louis Buron