La journée achevée, un jeune bûcheron
Du fond d’une forêt rentrait en sa maison.
Un jour, qu’il travailla bien plus que d’habitude,
Ne pouvant plus marcher, tombant de lassitude «
11 jeta sa cognée au milieu du chemin,
Et, s’essuyant le front du revers de la main :
« 0 Ciel! se disait-il, il n’est pas sur la terre
« Un mortel plus plongé que moi dans la misère.
« J’ai pourtant sept enfants, et pas un ne pourrait
« Subsister, un instant, du travail qu’il ferait.
« Que le Ciel est injuste en donnant la fortune
« A l’homme qui, souvent, n’en nécessite aucune!
« J’en connais deux ou trois qui n’ont tous pas d’enfants,
« Dont les rentes d’un mois nous nourriraient trois ans.
« Les ont-ils su gagner? Ont-ils mieux su complaire,
« En se comportant bien, à Dieu qui nous éclaire?
« Non, non, leur probité n’a pas, certainement,
« Mieux que la mienne, enfin, marché plus droitement.
« C’est donc un sort fatal qui pour toujours m’accable !
« Je suis né malheureux, je mourrai misérable ! »
— « C’est ainsi, répondit un pédant qui passait,
« Que le tiers des humains autrefois trépassait.
« Mais chacun, aujourd’hui, sait changer de système,
« Et le mortel qui souffre est bourreau de soi-même.
« On sait pourvoir à tout: le pauvre, en ce moment,
« Est nourri, bien logé, velu très-proprement.
« On ne veut nulle part voir mendier les hommes.
« Voilà qui fait honneur au beau siècle où nous somme
« C’est que dans tous les cœurs règne l’humanité :
« Le riche, alors, fait voir sa générosité;
« Car il est vraiment beau de secourir ses frères,
“. De les aider souvent, d’alléger leurs misères.
« Vous vous plaignez, je crois, d’avoir beaucoup d’enfant
« Qui, ne vous gagnant rien, vous sont embarrassants
« Mais d’où sortez-vous donc pour ignorer qu’en France
« L’enfant du malheureux est exempt de souffrance?
« On l’élève, on l’instruit, et gratuitement;
« Il ne sort qu’à quinze ans de l’établissement,
Que lorsqu’il peut, enfin, être utile à son père,
« Ou choisir un étal qui paraît lui complaire.
« Vous voyez donc, ami, qu’on ne peut nullement,
« Sans trop être exigeant, se plaindre en ce moment.
Ce pédant, grand parleur, crut donc le satisfaire
En donnant un conseil qu’il croyait salutaire.
Car souvent les parleurs sont distraits sur ce point :
Ils parlent longuement lorsqu’il ne le faut point,
Répondent a chacun, et de chacun pérorent,
Deviennent hébétants, et la plupart l’ignorent.
Donc le sensé des deux fut le bon bûcheron,
Parce qu’il sut se taire et rougir de l’affront.
“Le Bûcheron et le Pédant”