Paul Vallin
Poète, romancier et fabuliste contemporain – Le Cerf, la Tortue, et la Pie
L’amitié est un bienfait qui sait vaincre les maléfices,
Même quand ceux-ci sont ingénieux.
Les animaux chassés par l’homme,
S’entraident parfois pour échapper
À leur funeste sort de gibier pourchassé.
Dans une forêt profonde vivait un très vieux Cerf,
Qui offrait un trophée bien tentant aux chasseurs.
Dans le lac d’à coté, résidait une Tortue
À l’ombre d’un grand saule où se nichait une Pie.
Et ces trois animaux étaient de bons amis,
Bavardant, promenant, et se baignant ensemble.
Puis un jour un chasseur arriva près du lac,
En relevant les traces laissées par le grand cerf.
Avec des cordes épaisses, il fabriqua un piège,
Puis regagna sa hutte à la lisière des bois.
Quand le Cerf s’en vint boire, au coucher du soleil,
Il se trouva piégé, et brama de détresse
Pour alerter ainsi ses amis d’air et d’eau.
Tortue nagea jusqu’à la rive,
Et Pie descendit de son nid.
Ils dissertèrent de la meilleure façon
De tirer Cerf de ce bien mauvais pas.
Pie déclara : « Sœur Tortue, vos mâchoires sont puissantes,
Vous pouvez les utiliser pour couper ces cordes.
De mon coté, je vais trouver le moyen d’empêcher
Le chasseur de revenir ici. »
Joignant le vol à la parole, elle partit aussitôt.
Tortue commence alors à mâchonner les cordes,
Pendant que Pie vole jusqu’à l’abri du chasseur
Où elle se poste pour en surveiller l’entrée.
Quand l’aube se lève, le chasseur sort
En tenant à la main son arme bien affûtée.
Aussitôt qu’elle le voit, Pie l’attaque au visage,
Le blessant de son bec. Surpris et sanglant,
Le chasseur bat en retraite jusqu’à sa hutte.
Il réfléchit un moment et, tenant toujours son arme,
Il passe par la porte de derrière.
Mais Pie l’attendait, et le frappe encore.
Devant cet acharnement, le chasseur se retire dans son abri,
Et décide d’y rester jusqu’au lendemain.
Le jour suivant, il se lève tôt, reprend son arme
Et, par précaution, se couvre d’un chapeau avant de sortir.
Voyant qu’elle ne pouvait plus lui faire de mal,
Pie retourne en forêt pour prévenir ses amis.
« Le chasseur arrive ! », leur cria-t-elle.
Tortue en a presque fini avec la dernière corde,
Mais ses mâchoires sont à vif.
Quand le chasseur apparut
Cerf, effrayé, donna un puissant coup de rein
Qui fit se rompre la corde, en le libérant.
Il court se cacher dans la forêt,
Et Pie regagne la cime de son saule d’un seul jet,
Mais Tortue, épuisée, ne pouvait plus bouger.
Furieux d’avoir été joué, le chasseur l’attrape
Et l’enferme dans son sac qu’il suspend à un arbre,
Puis il part à la recherche du Cerf.
Cerf, caché dans les bosquets,
Avait assisté à la capture de la Tortue.
« Mes amis ont risqué leur vie pour moi, pense t-il,
À moi maintenant de les aider. »
Il sort donc à découvert,
Titubant comme s’il était affaibli,
Puis, en boitant, il fait mine de s’éloigner dans la forêt.
Le chasseur se dit : « Je vais poursuivre ce cerf épuisé,
Et je le tuerai facilement avec mon arme. »
Il traque vivement Cerf qui se tient hors d’atteinte.
Quand ils sont loin du lac,
Cerf accélère brusquement sa foulée,
Échappant à la vue du chasseur
En effaçant ses traces.
Il revient vers le lac et, utilisant ses andouillers,
Il décroche le sac-prison de Tortue,
Qu’il secoue afin de l’en faire sortir,
Et Pie s’en vient rejoindre ses deux amis.
« Vous m’avez sauvé d’une mort certaine, leur dit le Cerf.
Mais j’ai bien peur que ce chasseur revienne ici bientôt.
Pie, trouve-toi un endroit plus sûr,
Et toi, Tortue, cache-toi dans l’eau.
Moi je retourne de suite au fond de la forêt. »
Quand le chasseur revient, il trouve le sac vide
Dans les traces du vieux Cerf.
Désabusé, fourbu, et affamé, il le ramasse
Sans pouvoir imaginer que l’amitié animalière,
L’avait emporté sur son art prédateur.
Le Cerf, la Tortue, et la Pie