Christian Fuerchtegott Gellert
Le bien dit-on, vers le mieux s’achemine.
Ce mieux-là n’est qu’un mot, ou je suis fort trompé.
Le Chapeau, dans son origine ,
S’arrondissait sans être retapé.
Le premier cependant qui s’en couvrit la tête,
En était fier, quoiqu’il fût rabattu.
C’était à qui lui ferait fête ;
Et le bruit de son nom fut partout répandu.
Cet homme devint vieux et mourut comme un autre.
Du chapeau rond son plus proche hérita.
(C’était de son temps comme au nôtre.)
Profondément il médita,
Et releva deux bords. Tout le peuple s’écrie :
« Ma foi, l’inventeur ne fut rien ;
Son successeur est tout. Quel effort de génie !
C’est à présent que le chapeau sied bien. »
Le successeur, au milieu de sa gloire,
Alla rejoindre son parent;
Et l’héritier, esprit fort pénétrant,
Voulut, comme eux, illustrer sa mémoire.
Voilà sa tête en mouvement.
Sou essor créateur ne connaît plus de borne;
Et soudain , au chapeau, quel heureux changement!
Dans son enthousiasme il ajoute une corne….
« Une corne de plus !… Vite, vite, un autel !
C’ est un prodige, un dieu sous les traits d’un mortel, »
La Parque enfin le ravit à la terre.
Au terme des grandeurs le voilà parvenu,
Et le chapeau trois fois cornu
Vient enrichir un nouveau légataire.
Que fera-t-il ? que va-t-il concevoir?
A ses dépens chacun raisonne et glose.
« 0 sublime métamorphose !
Son feutre est blanc, il va le teindre en noir,
Afin d’inventer quelque chose.
Nouveaux transport, grande rumeur.
« Oh ! pour le coup, dit-on, l’idée est admirable !
Un chapeau blanc ! Fi! c’était une horreur!
Voici du beau , du neuf, de l’incroyable !
Honneur au chapeau noir! gloire soit à l’auteur ! »
“Le Chapeau”