Étienne Fumars
Poète et fabuliste XVIIIº – Le Chapeau et la Pantoufle
— Bon Dieu ! comme on s’oublie ! allez plus loin, ma bonne,
Disait à la pantoufle un arrogant chapeau,
Qui ne trouvait ni bon, ni beau
De la voir aussi près de sa noble personne.
Mais je crois que cela raisonne !
— Pourquoi pas, monseigneur ? Tu raisonnes bien, toi !
—Toi, toi, me tutoyer ! Voyez quelle insolence !
Ma très chère, de vous à moi
Sans doute il est quelque distance.
— Pas tant. — C’en est trop, on m’offense….
— Ah ! monseigneur prend le haut ton !
Dit-elle ; c’est ainsi que les grands ont raison :
Tu l’auras, s’il te plaît. Parlons donc sans colère ;
Raisonnons un moment sans nous injurier.
Je suis un sujet vil, traîné dans la poussière ;
Eh bien ! soit, j’y consens ; mais pourquoi tant crier ?
Voyons, n’es-tu pas mon confrère ?
Je le prouverai, s’il le faut.
Lorsque je sers en bas, ne sers-tu pas en haut ?
Avec tranquillité, là, la grandeur essuie
La grêle et l’aquilon, le soleil et la pluie.
Bien plus que moi docile à tous les rats,
On te prend, on te quitte, on te met haut ou bas ;
Tu te laisses tourner en avant, en arrière ;
Tu deviens grand, petit, suivant le temps qu’il fait :
Monseigneur vole en l’air, monseigneur vole à terre,
Et monseigneur sert de jouet.
Étienne Fumars, Le Chapeau et la Pantoufle