Sur un vieux char à bancs que traînaient par les rues
Deux rosses maigres et fourbues,
Un charlatan dépenaillé,
Au regard morne, au teint rouillé,
Au nez rougi par la froidure,
Mal vêtu d’un carrick d’assez triste couleur
Qui, vingt ans des hivers avait subi l’injure,
Arrachait les dents — sans douleur !
— Et disait la bonne aventure.
Les paysans naïfs, en cercle autour de lui,
Admiraient en silence, oyant des deux oreilles :
— Non, messieurs, disait-il, je ne viens pas ici
Vous promettre monts et merveilles :
Je ne sais pas tromper les gens !
Chez moi, pas de grands mots ; chez moi, pas d’artifice !
Je ne suis — à votre service
— Qu’un modeste arracheur de dents.
Mais pourtant, si la Providence
Des mystères d’en haut m’a donné la science,
Dois-je aux yeux du public dérober mes talents
Et crier : « Vive l’Ignorance ! »
Approchez, messieurs, approchez !
Mes cartes vous diront tout ce que vous cherchez :
Le Passé qui finit, l’Avenir qui commence,
Le dictame béni propre à chaque souffrance,
Et les trésors perdus et les trésors cachés…
— Toi, dit un vieux malin, que ce beau, préambule
N’avait fait que rendre incrédule,
Tu causes bien ; mais, par ma foi !
Tu n’auras pas un sou de moi.
Sans être sorcier, je devine
Que si tu connaissais les trésors enfouis,
Tu vivrais d’une autre cuisine,
Et l’on verrait, je m’imagine,
A tes chevaux moins triste mine
Et moins de trous à tes habits.
“Le Charlatan, fable d’Abel Bertier”