Miaou, Chat de l’Inde, avait les yeux si doux,
Était si tourmenté d’une petite toux,
Qu’il passait pour un saint, même chez son espèce ;
On ne lui connaissait ni vice, ni faiblesse ;
Ses vertus étaient Charité,
Tempérance et Fidélité
Sur tout : sa conscience était si délicate,
Que jamais dans le sac on ne lui prit la patte.
Miaou cependant, comme les autres Chats,
Poursuivait sans quartier les Souris et les Rats,
Peste maudite, race immonde,
Qu’il mangeait, disait-il, pour en purger le monde.
Or un soir, on ne sait par où,
Pour quelque bon dessein, le doucereux Indou
S’étant glissé dans une office,
Y surprit un gros Rat, mangeant un pain d’épice.
Or-çà, je t’y prends donc, dit-il, maître fripon,
Vivant sur le commun ; tu m’en feras raison.
Le Rat déconcerté répondit : le scrupule,
En lieu pareil, me semble et neuf et ridicule :
Nous sommes seuls, crois-moi, saisis l’occasion ;
Mange et pille, et sois sûr de ma discrétion.
Vraiment je suis d’avis, reprit la-bonne bête,
De faire mon profit de son discours moral ;
Pour se justifier, il veut m’induire à mal ;
La proportion est douce et fort honnête !
Pour plaire au friponneau l’on fera comme lui
Sans honneur et sans foi, friand du bien d’autrui ;
Au lieu d’être son juge, on fera son complice :
De sa déloyauté faisons plutôt justice.
Il l’étrangle à ces mots, se tapit dans un coin,
Et mange sans scrupule ainsi que sans témoin.
Un Valet vient ; mon Chat saisissant sa victime :
Vous allez voir ici bien du dégât, dit-il,
Et vous voyez l’auteur du crime :
Il faut en convenir, le drôle était subtil ;
Mais ma prudence a su mettre en défaut la sienne ;
Je veux payer pour lui, s’il faut qu’il y revienne.
Le Valet souriant laisse aller Miaou,
Mais le jugea dès-lors un dangereux Matou.
“Le Chat des Indes par Boisard”