Un chat qui ne vivait que de pêche et de chasse,
Aperçut des enfants qui se rendaient en classe ;
Il les aborde doucement,
Leur demande très humblement
S’ils peuvent lui donner quelque aumône légère :
— Depuis longtemps, dit-il, je fais fort maigre chère
Pour trouver mes repas,
C’est en vain que je cours dans cette vaste plaine
Et que j’y chasse à perdre haleine
Les oiseaux, les lapins, les souris et les rats ;
Nul ne se laisse prendre ;
Le soir il faut me rendre
A jeun dans mon humble taudis,
Dès longtemps dépeuplé de rats et de souris. »
De nos joyeux bambins la troupe le console :
— Suis-nous, lui dirent-ils, oh ! viens à notre école,
Là finiront tous tes soucis ;
Tu couleras tes jours dans l’oisive opulence,
Car nous t’y donnerons de tout en abondance. »
— J’accepte de bon coeur votre invitation,
Répondit notre chat ; votre noble action
Me cause un grand plaisir ; pour vous en rendre grâce,
Je veux, mes bienfaiteurs, dépeupler votre classe
Des souris et des rats qui rongent vos papiers,
Et qui vont furetant jusques dans vos paniers. »
— Fort-bien ! tu croqueras cette vilaine engeance.
Veille sur nos cahiers, mieux sur nos mannequins,
Mais évite surtout jusqu’aux moindres larcins,
Te reposant sur nous des soins de ta pitance.
Oh ! ne t’expose point à ces rudes affronts
Qu’en classe, comme ailleurs subissent les fripons ! »
Notre chat oublia bien vite sa promesse :
Depuis qu’il eut mets à choisir,
Jamais après les rats on ne le vit courir.
Bref, il vécut dans la mollesse,
Et devint si gros et si gras,
Qu’il pût, en embonpoint, défier tous les chats.
L’éclat de sa fourrure annonçait le bien-être.
Un vieux chat du quartier se vantait, dit-on, d’être
Son plus proche parent, quoique, jusqu’à ce jour,
Au puissant il n’eût fait sa cour.
L’invalide minet, forcé par la misère
D’aller trouver son heureux frère,
Va, sonne, et son parent aussitôt vint ouvrir.
— Que voulez-vous, dit-il, quel sujet vous amène ? »
L’autre répond : — Mes soins pouvant à peine
A mes faibles repas fournir,
Je viens vous demander l’aumône. »
— Que voulez-vous que je vous donne ?
A votre âge, quoi ! mendier !
Chassez donc, c’est votre métier ;
Courez de la cave au grenier.
Les hôtes de ces lieux sont mets que la nature
Créa pour votre nourriture. »
L’autre eu beau crier, beau gémir,
Montrer qu’il ne pouvait courir,
Jamais il ne put le fléchir.
Dans le siècle où nous sommes,
Hélas ! qu’on voit peu d’hommes
Se rappeler l’état dans lequel ils sont nés,
Et conserver dans l’opulence,
Pour les pauvres infortunés,
La douceur et la bienveillance !
“Le Chat et les Ecoliers”