Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Livre 12 – Le Chat et les deux Moineaux
A Monseigneur le duc de Bourgogne
Un chat contemporain d’un fort jeune Moineau
Fut logé près de lui dès l’âge du berceau ;
La Cage et le Panier avaient mêmes Pénates.
Le Chat était souvent agacé par l’Oiseau :
L’un s’escrimait du bec, l’autre jouait des pattes.
Ce dernier toutefois épargnait son ami.
Ne le corrigeant qu’à demi
Il se fût fait un grand scrupule
D’armer de pointes sa férule.
Le Passereau moins circonspect,
Lui donnait force coups de bec.
En sage et discrète personne,
Maître Chat excusait ces jeux :
Entre amis, il ne faut jamais qu’on s’abandonne
Aux traits d’un courroux sérieux.
Comme ils se connaissaient tous deux dès leur bas âge,
Une longue habitude en paix les maintenait ;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournait ;
Quand un Moineau du voisinage
S’en vint les visiter, et se fit compagnon
Du pétulant Pierrot et du sage Raton.
Entre les deux oiseaux, il arriva querelle ;
Et Raton de prendre parti.
Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle
D’insulter ainsi notre ami !
Le Moineau du voisin viendra manger le nôtre ?
Non, de par tous les Chats ! Entrant lors au combat,
Il croque l’étranger. Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un goût exquis et délicat !
Cette réflexion fit aussi croquer l’autre.
Quelle Morale puis-je inférer de ce fait ?
Sans cela toute Fable est un œuvre imparfait.
J’en crois voir quelques traits ; mais leur ombre m’abuse,
Prince, vous les aurez incontinent trouvés :
Ce sont des jeux pour vous, et non point pour ma Muse ;
Elle et ses Soeurs n’ont pas l’esprit que vous avez.
“Le Chat et les deux Moineaux”
Analyses par Chamfort
Cette fable est joliment contée ; mais voilà, je crois, le seul éloge que l’on puisse lui donner.
V.33. J’en crois voir quelques traits, mais leur ombre m’abuse.
Il ne faut pas voir quelques traits de la moralité d’un Apologue, il faut voir l’image toute entière. Dans la fable des animaux, dans celle de l’alouette et de ses petits, dans celle du rat retiré du monde , .ce n’est pas une ombre douteuse et confuse que le lecteur entrevoit, c’est la chose même. L’auteur sait ce qu’il a voulu dire, et n’est pas obligé de s’en rapporter aux lumières d’un prince âgé de huit ans..
Commentaire de MNS Guillon
1) Contemporain. L’idée du poète n’est pas que ces animaux vécussent dans le même temps, mais dans la même habitation. Il fallait commensal, au lieu de contemporain.
2) La cage et le panier avaient mêmes Pénates. On ne peut pas dire qu’une cage et un panier eussent des Dieux domestiques.
3) D’armer de pointes sa férule. Comme certains pédants accoutumés à faire plier sans la férule magistrale , le corps, la volonté et jusques à la raison de leurs élèves; et ces mêmes hommes, despotes de collèges , on les a vu des premiers crier a la liberté.
4) Incontinent. Ce mot a vieilli. Ménage ne l’aimait pas. (Rem. sur Malherbe, p. 569.) On en verrait pourtant encore quelques exemples , même dans les meilleurs écrivains de ce siècle. Voltaire :
Comment nos membres obéissent – ils incontinent à notre volonté ?.
Poème sur le désastre de Lisbonne.