Un bon mari, sa femme, et deux jolis enfants,
couloient en paix leurs jours dans le simple hermitage
où, paisibles comme eux, vécurent leurs parents.
Ces époux, partageant les doux soins du ménage,
cultivoient leur jardin, recueilloient leurs moissons,
et le soir, dans l’ été soupant sous le feuillage,
dans l’ hiver devant leurs tisons,
ils prêchoient à leurs fils la vertu, la sagesse,
leur parloient du bonheur qu’ ils procurent toujours :
le père par un conte égayoit ses discours,
la mère par une caresse.
L’ aîné de ces enfants, né grave, studieux,
lisoit et méditoit sans cesse ;
le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse,
sautoit, rioit toujours, ne se plaisoit qu’ aux jeux.
Un soir, selon l’ usage, à côté de leur père,
assis près d’ une table où s’ appuyoit la mère,
l’ aîné lisoit Rollin ; le cadet, peu soigneux
d’ apprendre les hauts faits des romains ou des parthes,
employoit tout son art, toutes ses facultés,
à joindre, à soutenir par les quatre côtés
un fragile château de cartes.
Il n’ en respiroit pas d’ attention, de peur.
Tout-à-coup voici le lecteur
qui s’ interrompt : papa, dit-il, daigne m’ instruire
pourquoi certains guerriers sont nommés conquérants,
et d’ autres fondateurs d’ empire :
ces deux noms sont-ils différents ?
Le père méditoit une réponse sage,
lorsque son fils cadet, transporté de plaisir,
après tant de travail, d’ avoir pu parvenir
à placer son second étage,
s’ écrie : il est fini ! Son frère murmurant
se fâche, et d’ un seul coup détruit son long ouvrage ;
et voilà le cadet pleurant.
Mon fils, répond alors le père,
le fondateur, c’ est votre frère,
et vous êtes le conquérant.
Notes sur la Fable :
L’action du frère aîné est répréhensible. Il aurait dû réprimer ce premier moment de colère. L’étude est une belle chose, mais elle doit avant tout rendre l’homme meilleur. Quant à l’explication du père, chacun la comprendra. Les fondateurs d’empire sont les bienfaiteurs de l’humanité; ils emploient tout leur art, toutes leurs facultés à joindre, à soutenir par de bonnes lois l’État qu’il leur doit son existence ; ils aiment la paix, parce qu’ils savent qu’elle est le plus ferme appui des royaumes.— Les conquérants, au contraire, sont trop souvent les fléaux de l’humanité; ils aiment la guerre, source de tant de maux pour les peuples ; et, pour conquérir des villes, ils les renversent, ils les détruisent. Comme les enfants de la fable du Grillon, après bien des efforts, ils n’ont en leur possession que des objets en lambeaux, c’est-à-dire des peuples appauvris et des pays dévastés. Cependant le sens du mot Conquérant n’entraîne pas toujours celui de destructeur. “Le château de cartes “