Le chêne
Hélas ! pauvre petit roseau,
Vous avez bien sujet d’accuser la nature.
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tète,
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est aquilon ; tout me semble zéphyr ;
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir ;
Je vous défendrais de l’orage.
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords du royaume du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Le roseau
Votre compassion pour moi, chétif arbuste,
Part d’un bon naturel, mais quittez ce souci ;
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie et ne romps pas ; vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos.
Mais attendons la fin…
Le chêne
Je pardonne ces mots
A votre peu d’expérience.
Le roseau
Bientôt nous allons constater,
Monseigneur, si Votre Éminence
Des vents n’a rien à redouter.
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le nord ait portés jusqu’ici dans ses flancs.
Tenez bon ; quant à moi, je plie…
Que vois-je, hélas ? le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’empire des morts !
“Le Chêne et le Roseau”