Louis de Combettes-Labourelié
Poète, écrivain et fabuliste XIXº – Le chêne et ses habitants
Un chêne séculaire, orgueil de la forêt,
Au loin étendait son ombrage.
A l’abri protecteur de son épais feuillage,
De faibles arbrisseaux une foule croissait.
Dans ses flancs caverneux, dans ses fourches puissantes,
Animaux de toutes façons
Avaient creusé leurs trous ou bien dressé leurs tentes,
Fait leurs nids, bâti leurs maisons.
Dans le bas, de lapins une troupe sauvage
Avait établi son terrier.
Plus haut, c’était des rats, et près d’eux le ménage
D’un honnête hibou, la terreur du quartier ;
Puis des mouches à miel le palais symétrique,
Puis l’écureuil, le loir craintif,
Puis des fourmis la sage république,
Puis la chouette au cri plaintif.
Au-dessus d’eux, pendant aux branches élevées,
Ce n’était que nids, que berceaux,
Que ruches, que cocons, que toiles, que couvées,
Que cellules et que réseaux.
Tout le peuple assemblé dans ce vert phalanstère
Criait, gloussait, chantait et bourdonnait,
Et dans un bon accord, autant que peut se faire,
Assez heureusement vivait,
Quand un soir, soir affreux, le plus terrible orage,
Déchaîné par les cieux jaloux,
Au sein de la forêt, tourbillonne avec rage,
Et gronde, en menaçant des fureurs de ses coups.
Soudain, lancé d’en haut, le carreau de la foudre,
Aux longs éclats retentissants,
Arrache, anéantit, écrase et met en poudre
Le chêne au front superbe et ses mille habitants.
Ne cherchez pas des grands le soutien tutélaire :
Petits, faibles, vivez loin de leurs toits pompeux;
Au temps où nous vivons leur force est éphémère :
Dans leur chute entraînés, vous péririez comme eux.
Louis de Combettes-Labourelié (1817-1881), Le chêne et ses habitants