Quoique fort jeune, un cheval décharné
Et couronné,
Bon tout ou plus à mettre à la voirie,
Disait un jour à l’écurie,
Devant ses compagnons qui le plaignaient tout bas :
« Mon père était un beau cheval de race,
Plein de courage et plein d’audace,
Qui s’illustra dans maints combats.
Se laissant entraîner à son ardeur guerrière,
Au champ d’honneur il mordit la poussière
D’un coup de lance dans le flanc.
Ma mère était une anglaise pur sang ,
Elle porta le roi d’Espagne.
Mon aïeul eut l’insigne honneur
Et le bonheur
De porter Charles-Quint, empereur d’Allemagne.
Mon trisaïeul, noble animal,
Tirait son illustre origine
D’un des petits-fils du cheval
D’un grand empereur de la Chine.
Ce noble cheval provenait
Directement et descendait
(Foi de bête chevaline)
De la pouliche et du poulain
Qui furent jetés sur la terre,
Quand l’univers, un beau matin,
S’échappa de la main
Du puissant maître du tonnerre. »
Un jeune et beau poulain répondit aussitôt :
« Moi, je ne descends pas tout à fait de si haut;
Mon père était un simple Solognot
(On sait que cette race est bonne),
Et ma mère était Berrichonne;
Tous deux francs du collier, tous deux
Allant leur petit trot, ardents et vigoureux.
Quant à me demander ce qu’étaient mon grand-père
Et ma grand’mère.
Ce serait me jeter dans un grand embarras,
Et je te répondrais que je ne le sais pas.
Cela n’empêche point, du moins j’aime a le croire,
Que l’on me priserait beaucoup plus cher que toi,
Si l’on te menait avec moi
Au champ de foire. »
Ce Solognot judicieux
Pensait, et je l’en félicite,
Qu’on doit priser les gens sur leur mérite,
Non sur celui de leurs aïeux.
“Le Cheval de fiacre et le Cheval Solognot”