La tête basse et les naseaux fumants,
Promenant sur le sol ses longs regards dormants,
Avançant pas à pas, et l’échine tendue,
Un bœuf tirait une charrue.
Arrive un cheval qui bondit,
Mord son frein, dresse sa crinière,
Eparpille au loin la poussière,
Regarde le bœuf et lui dit :
– Assez de travail et de peine,
Assez de joug, assez de chaîne,
Le clairon sonne, éveille-toi ;
N’est-tu pas aussi fort que moi ?
Sors de la terre humide et noire,
Viens au combat, songe à la gloire ;
Sois fier, sois libre, sois léger !…
Mais le bœuf, sans se déranger
Lui répond d’une voix paisible :
– Je crois, mon cher concitoyen,
Que tu me parles pour mon bien ;
Je n’ai ni ta croupe flexible,
Ni tes jarrets toujours dispos ;
Les cavaliers craindraient les angles de mes os ;
Epouvanté par la trompette,
Je ferais des coups de ma tête ;
Je comprends mon vieux joug mieux qu’un harnais tout neuf ;
Nous irions ensemble à la guerre,
Toi, tu te tirerais d’affaire ;
Moi, je serais toujours le bœuf.
Tribuns, artisans de discorde,
Phraseurs, gens de sac et de corde,
Qui promettez au travailleur
De rendre son destin meilleur,
Vos mensonges et vos colères
Ne feront pas que l’ignorant
Sans études soit un savant,
Ni que les enfants soient des pères.
Dieu créa divers animaux,
Il fit des bœufs et des chevaux.
Je comprends le cheval qui rue
Contre le joug et la charrue,
Mais un bœuf faisant le cheval
Serait un bien sot animal.
“Le Cheval et le Bœuf”