On dit que certain cavalier
Avait si bien à son usage
Dressé son docile coursier,
Qu’uniquement par le langage
Partout il le guidait. Le pied dans l’étrier,
Le trop imprudent écuyer
S’en fiait au cheval, et la bride inutile
Flottait presque toujours, dans sa main immobile.
A de pareils coursiers, ma foi, c’est bien en vain,
Dit-il un jour, que l’on veut mettre un frein.
Il me vient-là, d’honneur, une excellente idée !
Il fait seller, et notre homme dehors ,
À son coursier ôte le mors :
Mais sa bête, bientôt se sentant débridée ,
S’avise d’égayer son pas.
Le malin se gardait d’une licence entière,
Et comme l’écuyer ne le réprimait pas,
Il relève la tête, agite sa crinière.
Pour complaire à son cavalier ,
L’hypocrite feignait d’en user de la sorte ;
Mais le voyant toujours n’agir que de main morte
Voilà le rebelle coursier
Qui vous donne à sa fougue une libre carrière.
Dans ses veines le sang circule à gros bouillons ,
De ses yeux étincelle une vive lumière ;
Sourd à son cavalier et bravant de vains sons ,
IL l’emporte, et sans but, ainsi qu’un trait rapide ,
Il court, à tout hasard , où son ardeur le guide.
Le cavalier , d’une tremblante main ,
Tente, mais vainement , de lui glisser son frein.
Le coursier d’autant plus , se démène et s’irrite,
Le perfide fait tant qu’enfin De la selle il le précipite;
Lui-même, ainsi qu’un tourbillon,
Qu’emporterait une tempête,
Prend de nouveau l’essor, sans que rien l’inquiète ;
Mais bientôt, rencontrant un. ravin très profond
Lancé des quatre pieds , il s’y casse la tête.
Le maître , informé de sa mort,
Se livrant tout entier à sa douleur amère :
— O mon pauvre cheval ! c’est moi qui de ton sort,
Dit-il, hélas.! suis la cause première ;
Si je t’avais laissé ton frein ,
J’eusse eu, pour te guider, tout le pouvoir en main ;
Je ne te devrais pas une chute honteuse,
Tu ne me devrais pas une fin si piteuse.
Quelque attrait qu’ait la liberté ,
Pour le peuple toujours elle est pernicieuse ,
Si l’usage n’en, est sagement limitée.
“Le Cheval et le Cavalier”