Caleb, Vizir sous le règne d’Osman,
Osa monter, sans l’aveu du Sultan,
Le beau Zerbith, coursier d’un prix insigne
Et qu’on avoit, dit-on, seul trouvé digne,
Entre les fils du haras d’Yémen,
D’être nommé premier Cheval de main
De l’Ottoman. Or, Zerbith, en ce poste,
Ne pouvoit pas, comme un Cheval de poste
Sellé, bridé, servir à tout venant.
« Qu’oses-tu faire , esclave impertinent ? »
Semble-t-il dire au Vizir qu’il emporte
A travers champs. A la sublime Porte,
De fait, esclave ou Vizir, c’est tout un.
Et plaise à Dieu que, pour le bien commun
Le calepin de notre académie
Admette un jour cette synonymie.
Sourd à la voix, rebelle à l’éperon,
Tant se cabra l’indocile étalon,
Que le Vizir, tombé tête première,
En son palais dut rentrer en litière.
De l’écurie et du trône à la fois
Content d’avoir si bien vengé les droits,
Soudain Zerbith au grand galop détale,
Pour regagner la crèche impériale.
Six mois après cette aventure, Osman
A son Vizir donne l’ordre et le plan
D’une réforme en la grande écurie.
Quand par Caleb cette tâche est remplie,
Au Prince il livre un rôle où sont portés,
Avec leurs noms, les défauts constatés
Des palefrois indignes qu’on leur laisse
Manger encor l’orge de Sa Hautesse.
Le Turc jetant les yeux sur ce papier,
Y voit Zerbith inscrit tout le premier.
Comme il l’ôtoit de la liste fatale,
Un jeune Iman s’écrie : « Ah ! quel scandale,
» Si vos bontés pour un cheval quinteux
» Mettent vos jours, et l’Empire avec eux,
» En un danger dont les suites sinistres
» Glacent d’effroi vos fidèles Ministres !
» De vertigo dans un accès subit
» Peut-on savoir ce que feroit Zerbith !
» Attendrez-vous, Seigneur, qu’il vous démonte ?
» De ses écarts qui pourroit tenir compte !
» C’en est assez de vous dire comment
» Il outragea naguère une Jument
» De sang, de nom héritière de celle
» Qui du Prophète avoit porté la selle. »
Osman vouloit d’un plus juste retour
Payer Zerbith ; mais, pour ce cas énorme,
Faux, ou du moins montré sous un faux jour,
Son noble ami fut mis à la réforme.
Les valets seuls sont maîtres à la Cour.
“Le Cheval réformé”