Un chevrier, ayant mené ses chèvres au pâturage, s’aperçut qu’elles étaient mêlées à des chèvres sauvages, et, quand le soir tomba, il les poussa toutes dans sa grotte. Le lendemain un gros orage éclata. Ne pouvant les mener au pâturage habituel, il les soigna dedans ; mais il ne donna à ses propres chèvres qu’une poignée de fourrage, juste de quoi les empêcher de mourir de faim ; pour les étrangères, au contraire, il grossit la ration, dans le dessein de se les approprier elles aussi. Le mauvais temps ayant pris fin, il les fit toutes sortir dans le pâtis ; mais les chèvres sauvages, gagnant la montagne, s’enfuirent. Comme le berger les accusait d’ingratitude pour l’abandonner ainsi, après les soins particuliers qu’il avait pris d’elles, elles se retournèrent pour répondre : « Rai-son de plus pour nous d’être en défiance ; car si tu nous as mieux traitées, nous, tes hôtesses d’hier, que tes vieilles ouailles, il est évident que, si d’autres chèvres viennent encore à toi, tu nous négligeras pour elles. »
[quote style=”1″]Cette fable montre qu’il ne faut pas accueillir les protestations d’amitié de ceux qui nous font passer, nous, les amis de fraîche date, avant les vieux amis. Disons-nous que, quand notre amitié aura pris de l’âge, s’ils se lient avec d’autres, c’est ces nouveaux amis qui auront leurs préférences.[/quote]
Αἰπόλος καὶ αἶγες ἄγριαι
Αἰπόλος τὰς αἶγας αὑτοῦ ἀπελάσας ἐπὶ νομήν, ὡς ἐθεάσατο ἀγρίαις αὐτὰς ἀναμιγείσας, ἑσπέρας ἐπιλαβούσης, πάσας εἰς τὸ ἑαυτοῦ σπήλαιον εἰσήλασε. Τῇ δὲ ὑστεραίᾳ χειμῶνος πολλοῦ γενομένου, μὴ δυνάμενος ἐπὶ τὴν συνήθη νομὴν αὐτὰς παραγαγεῖν, ἔνδον ἐτημέλει, ταῖς μὲν ἰδίαις μετρίαν τροφὴν παραβάλλων πρὸς μόνον τὸ μὴ λιμώττειν, ταῖς δὲ ὀθνείαις πλείονα παρασωρεύων πρὸς τὸ καὶ αὐτὰς ἰδιοποιήσασθαι. Παυσαμένου δὲ τοῦ χειμῶνος, ἐπειδὴ πάσας ἐπὶ νομὴν ἐξήγαγεν, αἱ ἄγριαι ἐπιλαβόμεναι τῶν ὀρῶν ἔφευγον. Τοῦ δὲ ποιμένος ἀχαριστίαν αὐτῶν κατηγοροῦντος, εἴγε περιττοτέρας αὐταὶ τημελείας ἐπιτυχοῦσαι καταλείπουσιν αὐτὸν, ἔφασαν ἐπιστραφεῖσαι· “Ἀλλὰ καὶ δι’ αὐτὸ τοῦτο μᾶλλον φυλαττόμεθα· εἰ γὰρ ἡμᾶς τὰς χθές σοι προσεληλυθυίας τῶν πάλαι σὺν σοὶ προετίμησας, δῆλον ὅτι, εἰ καὶ ἕτεραί σοι μετὰ ταῦτα προσπελάσουσιν, ἐκείνας ἡμῶν προκρινεῖς.”
[quote style=”1″]Ὁ λόγος δηλοῖ μὴ δεῖν τούτων ἀσμενίζεσθαι τὰς φιλίας οἷ τῶν παλαιῶν φίλων ἡμᾶς τοὺς προσφάτους προτιμῶσι, λογιζομένους ὅτι, κἂν ἡμῶν ἐγχρονιζόντων ἑτέροις φιλιάσωσιν, ἐκείνους προκρινοῦσιν.[/quote]- Esope – (VIIe-VIe siècle av. J.-C)
Le Chevrier et les Chèvres sauvages
Il neigeait. Un chevrier, fuyant vers un autre désert, y poussait ses chèvres toutes blanches de neige. En y voyant entrées avant lui des chèvres sauvages, bien encornées, plus nombreuses, plus grandes et plus belles que les siennes, il leur donna à manger une branche garnie de feuilles qu’il avait prise dans la forêt, et abandonna les siennes à leur faim. Mais, dès que le ciel eut repris sa sérénité, il les trouva mortes; les aulres étaient parties, et, déjà au sommet des monts stériles, s’élevaient jusque vers des chênes inaccessibles. Le chevrier, peu dispose à rire, rentra chez lui sans chèvres, possesseur en espérance d’un plus riche troupeau, en réalité ne conservant pas même celui qui lui avait appartenu.
- Babrius, Babrias (IIe. ou IIIe. siècle)
Les Chèvres sauvages
Un chevrier dans la froide saison
Ouvrit sa porte à des chèvres sauvages.
On ne trouvait plus d’herbeaux païurages :
Le mieux était d’accepter sa maison.
Pour les fixer dans ses foyers rustiques,
Durant l’hiver il les traita si bien,
Tant festoya ces hôtes faméliques,
Pleurant la vie aux chèvres domestiques,
Qu’elles séchaient, qu’elles venaient à rien.
Bref, sans daigner jeter les yeux sur elles,
Près de leur crèche il passait à la fin,
Tout occupé de ses chèvres nouvelles;
Si bien qu’un jour il trouva mort de faim
Son vieux troupeau, ses nourrices fidèles.
Bientôt revint le temps où tout berger
Ouvre sa porte, et se met en campagne ;
Le nôtre aussi crut pouvoir déloger;
Mais le troupeau connaissait la montagne :
Tout disparut, tout s’enfuit sans retour.
Aux vieux amis préférez ceux d’un jour :
Voilà, messieurs, voilà ce qu’on y gagne.
- Jean-Jacques Porchat-Bressenel – (1800-1864)
(1826 : Recueil de fables, par J.-J. Valamont)