Certain chien de berger, à l’humeur inquiète,
Au cœur ambitieux, se mit un jour en tête
De changer de métier : dans notre siècle, hélas !
Les chiens seuls ne sont pas
Sujets à pareille faiblesse.
Et je sais un autre animal.
Qui se croit de plus noble espèce.
Atteint du même mal ;
Il faut bien que je le confesse.
Malgré tout le respect que pour lui je professe.
Donc notre chien se dit : « Assez et trop longtemps,
» J’ai mené paître aux champs
» La race moutonnière :
» Sot métier que celui de gardien de troupeaux
» Pour tout salaire,
» Maigre pitance et pauvre chère.
» Point de sommeil la nuit, le jour point de repos ;
» Et puis, pour surcroît de misère,
» Maints horions et force coups
» De bâton ou de dents de mon maître ou des loups.
» Foin des champs et vive la ville !
» J’y veux aller prendre un emploi
» Plus conforme à mes goûts et plus digne de moi ! »
Leste et joyeux, d’un pas agile,
Dans la cité voisine aussitôt il se rend,
Et là, tout en flânant.
Le nez au vent.
Il voit, le long d’une muraille.
Une affiche qui promettait
Honnête récompense à qui rapporterait
Un chien griffon et de petite taille
(Lindor était le nom
Du vagabond),
Qui s’était le matin enfui de la maison,
Sans nul souci de la tendresse
Ni des larmes de sa maîtresse !
« Vraiment, se dit notre héros,
» Voilà bien mon affaire.
» Et ce Lindor, fort à propos,
» A fait l’école buissonnière !
» J’irai le remplacer : jamais occasion
» Ne fut plus favorable ;
» Chien de salon,
» Avec bon gîte et bonne table,
» Quelle douce condition ! »
Plein d’espoir, il s’élance.
Et, tout crotté, mal peigné, haletant,
Il entre fièrement
Dans un hôtel de superbe apparence.
Où l’on pleurait encor
L’ingrat Lindor!
Bientôt il se trouve en présence
De grands laquais, poudrés, frisés.
Qui se tenaient debout, les bras croisés.
Sans rien faire, suivant l’usage
De tout laquais de haut parage.
Devant ce cénacle imposant,
A peine a-t-il présenté sa requête
Que chacun, d’un air insolent,
Rit au nez de la pauvre bête ;
Puis, à grands coups de fouet, appliqués sur le
Renvoie à ses troupeaux
Notre gardeur de brebis et d’agneaux !
Il s’en revint, l’oreille basse,
A son maître demander grâce,
Et reprendre sa place
Près de ses moutons. En chemin
Ayant rencontré, d’aventure.
Un de ses vieux amis, c’était un gros mâtin.
Qui, sous une forme un peu dure.
Cachait un gros bon sens, de sa mésaventure
Il lui fit part : « Je ne plains pas ton sort, »
Répondit ce sage Nestor,
« Ta sottise et ta suffisance
» Ont attiré sur toi ce juste châtiment :
» Le Tout-Puissant,
» Dans sa suprême prévoyance,
» T’avait, de père en fils, créé chien de berger.
Avec tous les talents propres à ce métier ;
» Pourquoi donc en changer ?
» Et pourquoi ne pas faire
» Ce qu’ont fait tes aïeux
» Et ce qu’a fait ton père ?
» Qu’on étende la sphère
» OÙ nous plaça le ciel, j’y consens, rien de mieux ;
» Mais la briser est souvent dangereux ;
» Et de cet effort téméraire
» Naissent plus de maux que de biens ;
» Loin de s’élever on s’abaisse.
» Ce que je dis s’adresse
» Aux hommes comme aux chiens ! »
Adrien-Théodore Benoît-Champy