Le Chien qui porte à son cou le dîné de son maître
Nous n’avons pas les yeux à l’épreuve des belles,
Ni les mains à celle de l’or :
Peu de gens gardent un trésor
Avec des soins assez fidèles.
Certain Chien, qui portait la pitance au logis,
S’était fait un collier du dîné de son maître.
Il était tempérant plus qu’il n’eût voulu l’être
Quand il voyait un mets exquis :
Mais enfin il l’était et tous tant que nous sommes
Nous nous laissons tenter à l’approche des biens.
Chose étrange ! on apprend la tempérance aux chiens,
Et l’on ne peut l’apprendre aux hommes.
Ce Chien-ci donc étant de la sorte atourné,
Un mâtin passe, et veut lui prendre le dîné.
Il n’en eut pas toute la joie
Qu’il espérait d’abord : le Chien mit bas la proie,
Pour la défendre mieux n’en étant plus chargé.
Grand combat : D’autres chiens arrivent ;
Ils étaient de ceux-là qui vivent
Sur le public, et craignent peu les coups.
Notre Chien se voyant trop faible contre eux tous,
Et que la chair courait un danger manifeste,
Voulut avoir sa part ; Et lui sage : il leur dit :
Point de courroux, Messieurs, mon lopin me suffit :
Faites votre profit du reste.
A ces mots le premier il vous happe un morceau.
Et chacun de tirer, le mâtin, la canaille ;
A qui mieux mieux ; ils firent tous ripaille ;
Chacun d’eux eut part au gâteau.
Je crois voir en ceci l’image d’une Ville,
Où l’on met les deniers à la merci des gens.
Echevins, Prévôt des Marchands,
Tout fait sa main : le plus habile
Donne aux autres l’exemple ; Et c’est un passe-temps
De leur voir nettoyer un monceau de pistoles.
Si quelque scrupuleux par des raisons frivoles
Veut défendre l’argent, et dit le moindre mot,
On lui fait voir qu’il est un sot.
Il n’a pas de peine à se rendre :
C’est bientôt le premier à prendre.
Autre analyse:
fable analyse et commentée par Chamfort – 1796.
V. 1. Nous n’avons pas les yeux à l’épreuve des belles.
Lamotte , fabuliste très-inférieur à La Fontaine, a rapproché ces deux idées dans un vers fort heureux. Il dit que les juges ont très-souvent…
Pour les présents des mains, pour les belles des yeux.
V. 6. S’était fait un collier, etc. . . .
Précision très-heureuse et qui fait peinture.
V. 7.Il était tempérant plus qu’il n’eut voulu l’être.
Vers très-plaisant, qui exprime à merveille le combat entre l’appétit du chien , et la victoire que son éducation le force à remporter sur lui-même.
V. 25…..Et, lui sage, il leur dit :
Il est difficile de blâmer la conduite de ce chien ; cependant comme il est, dans cette fable, le représentant, d’un échevin ou d’un prévôt des marchands, La Fontaine n’aurait pas dû lui donner l’épithète de sage. Il a l’air d’approuver par ce mot ce voleur qui suit l’exemple des autres : proposition insoutenable en morale. Mais l’échevin doit dire : Messieurs, volez tant qu’il vous plaira, je ne puis l’empêcher, je me retire: Mais d’où vient le même fait offre-t-il un résultat moral si différent, quant au chien et quant à l’échevin ? La cause de cette différence vient de ce que le chien n’étant pas obligé d’être moral, en admire son instinct dont il fait ici un très-bon usage. Mais l’homme étant obligé de mettre la moralité dans toutes ses actions, il cesse , lorsqu’elles n’en ont pas, de faire un bon usage de sa raison.
Études sur les fables de La Fontaine, P. Louis Solvet – 1812.
Régnier, 1ere. partie, fab. 17.
V. 1. Nous n’avons pas les yeux à l’épreuve des belles,
Ni les mains à celle de l’or.
……….Car qui hait les présents?
Tous les humains en sont friands.
Maudit amour des dons, que ne fais-tu pas faire!
Autant de vers naturels, pris chez notre poète , qui semblent découler les uns des autres, et qui, dans toute autre circonstance, sembleroient ajouter nécessairement à sa pensée.
La Motte, poète très-inférieur à La Fontaine, a rapproché les deux idées que présentent les deux vers cités ci-dessus, dans un vers fort heureux : il dit que les juges ont très-souvent
Pour les présents, des mains; pour les belles, des yeux.
(Ch.)
V.6. S’étoit fait un collier………….
Précision très-heureuse, et qui fait peinture.
V. 7. Il étoit tempérant … Lire la suite