Deux chiens vivaient en paix dans la cour d’un château
Lindor, jeune barbet , s’émaillant et fort beau ,
Bien tondu, certain jour, par ordre de son maître,
Alla trouver son compagnon Brusquet,
Qui, surpris de lui voir le dos rasé si net,
Put à peine le reconnaître.
Monsieur Lindor était tout fier
De sa toilette élégante et nouvelle.
On allait sortir de l’hiver,
Mais il régnait encore. Une bise cruelle
Glissa bientôt sur te fessier dodu
Du pauvre chien tout morfondu.
Brusquet, fort bon enfant, le conduit à l’office.
Au coin du feu. Lindor, de son long étendu,
Bien réchauffé, n’en est pas moins novice :
Un grain d’orgueil encore fermente en son cerveau.
« Mais, dît le camarade; on t’aurait fait plus beau ,
Si l’on avait rogné ton ample chevelure ,
En découvrant un peu le bout de ton museau :
Tu n’en serais que mieux , frère , je te l’assure ,
Car enfin ces longs poils ne te servent à rien ;
Pourquoi couvrir tes yeux de freluches pareilles?
Souvent tu n’y peux voir, môme en regardant bien,
Et risques , en mangeant, d’avaler tes oreilles. »
L’autre allait répliquer… Un maladroit valet
Laisse tomber d’eux gouttes d’eau bouillante
Sur le derrière du barbet,
Qui crie et qui s’enfuit tout saisi d’épouvante.
” Va, lui dit le sage Brusquet,
Toujours la contrainte et la gêne
Sont compagnes de la grandeur :
J’aime bien mieux ma jatte un peu moins pleine
Que d’être, à ce prix là, l’esclave d’un seigneur. ”
Explication morale :
Rien n’est plus ridicule que d’être orgueilleux d’un habit neuf, et tout fier parce qu’on est un peu mieux vêtu que ses petits camarades. On paie souvent cher ces mouvements de vanité. Heureux quand ils ne coûtent pas l’amitié de ceux que nous voulons humilier, et que ceux-ci se contentent de se moquer intérieurement de nous et de nos folles prétentions. (Le Chien tondu)
“Le Chien tondu”