Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au Soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un Coche.
Femmes, Moine, vieillards, tout était descendu.
L’attelage suait, soufflait, était rendu.
Une Mouche survient, et des chevaux s’approche ;
Prétend les animer par son bourdonnement ;
Pique l’un, pique l’autre, et pense à tout moment
Qu’elle fait aller la machine,
S’assied sur le timon, sur le nez du Cocher ;
Aussitôt que le char chemine,
Et qu’elle voit les gens marcher,
Elle s’en attribue uniquement la gloire ;
Va, vient, fait l’empressée ; il semble que ce soit
Un Sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.
La Mouche en ce commun besoin
Se plaint qu’elle agit seule, et qu’elle a tout le soin ;
Qu’aucun n’aide aux chevaux à se tirer d’affaire.
Le Moine disait son Bréviaire ;
Il prenait bien son temps ! une femme chantait ;
C’était bien de chansons qu’alors il s’agissait !
Dame Mouche s’en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.
Après bien du travail le Coche arrive au haut.
Respirons maintenant, dit la Mouche aussitôt :
J’ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Ca, Messieurs les Chevaux, payez-moi de ma peine.
Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S’introduisent dans les affaires :
Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
Le Coche et la Mouche.
V. 1. Dans un chemin montant. . . .
Ces cinq premiers vers, n’ont rien de saillant; mais ils mettent la chose sous les yeux avec une précision bien remarquable. La Fontaine emploie près de vingt vers à peindre les travaux de la mouche, et son sérieux est très-plaisant ; mais peut-être fallait-il être La Fontaine pour songer au moine qui dit son bréviaire.
Ce petit Apologue est un des plus parfaits: aussi a-t-il donné lieu au proverbe , la mouche du coche.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Dans un chemin montant, etc. On ne peut lire cette tirade , sans admirer l’inépuisable talent de l’auteur à peindre par les sons; Chaque syllabe est lourde, et chaque mot se traîne, Comme l’a dit l’abbé Du Resnel dans ce vers, à la fois précepte et exemple.
(2) Six forts Chevaux tiraient un coche. L’expression est serrée , nerveuse, même pénible , comme l’action qu’elle désigne.
(3) Femmes , moine , vieillards, etc. Ce bizarre rapprochement fait sous une apparence de simplicité , une épigramme dont la finesse n’échappera point aux esprits délicats.
(4) L’attelage suoit, souffloit, étoit rendu. Gradation admirable ; on voit les Chevaux, et leurs efforts, et leurs fatigues.
(5) Qu’elle fait aller la machine. Machine, suppose un ouvrage de combinaison, qui exige dans son régulateur plus de force ou d’industrie.
(6) Il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant, etc. Les premiers fabulistes qui ont jugé à propos de répandre dans l’apologue des comparaisons élevées qui le rehaussent, ont compris sans doute que la petitesse -des objets qu’il présente d’ordinaire avoit besoin de temps en temps de cette espèce de contraste , pour nous attacher et pour nous plaire. Nous verrons plus d’une fois cet ingénieux artifice employé par notre auteur. La Mouche est ici un sergent de bataille… Lire la suite