Le Coche et la Mouche : commentaires et analyses de MNS Guillon – 1803.
- Le Coche et la Mouche.
(1) Dans un chemin montant, etc. On ne peut lire cette tirade , sans admirer l’inépuisable talent de l’auteur à peindre par les sons; Chaque syllabe est lourde, et chaque mot se traîne, Comme l’a dit l’abbé Du Resnel dans ce vers, à la fois précepte et exemple.
(2) Six forts Chevaux tiraient un coche. L’expression est serrée , nerveuse, même pénible , comme l’action qu’elle désigne.
(3) Femmes , moine , vieillards, etc. Ce bizarre rapprochement fait sous une apparence de simplicité , une épigramme dont la finesse n’échappera point aux esprits délicats.
(4) L’attelage suoit, souffloit, étoit rendu. Gradation admirable ; on voit les Chevaux, et leurs efforts, et leurs fatigues.
(5) Qu’elle fait aller la machine. Machine, suppose un ouvrage de combinaison, qui exige dans son régulateur plus de force ou d’industrie.
Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au Soleil exposé,
Six forts chevaux tiraient un Coche.
Femmes, Moine, vieillards, tout était descendu.
L’attelage suait, soufflait, était rendu.
Une Mouche survient, et des chevaux s’approche ;
Prétend les animer par son bourdonnement ;
Pique l’un, pique l’autre, et pense à tout moment
Qu’elle fait aller la machine,
S’assied sur le timon, sur le nez du Cocher ;
Aussitôt que le char chemine,
Et qu’elle voit les gens marcher,
Elle s’en attribue uniquement la gloire ;
Va, vient, fait l’empressée ; il semble que ce soit
Un Sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens, et hâter la victoire.
La Mouche en ce commun besoin
Se plaint qu’elle agit seule, et qu’elle a tout le soin ;
Qu’aucun n’aide aux chevaux à se tirer d’affaire.
Le Moine disait son Bréviaire ;
Il prenait bien son temps ! une femme chantait ;
C’était bien de chansons qu’alors il s’agissait !
Dame Mouche s’en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.
Après bien du travail le Coche arrive au haut.
……………………
(6) Il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant, etc. Les premiers fabulistes qui ont jugé à propos de répandre dans l’apologue des comparaisons élevées qui le rehaussent, ont compris sans doute que la petitesse -des objets qu’il présente d’ordinaire avoit besoin de temps en temps de cette espèce de contraste , pour nous attacher et pour nous plaire. Nous verrons plus d’une fois cet ingénieux artifice employé par notre auteur. La Mouche est ici un sergent de bataille. Ce n’est plus un nain qu’on a sous les yeux, mais un colosse. Ainsi le Chantre de Vertvert, lorsqu’il décrit le caquet de l’oiseau donnant audience a tout un courent :
Tel autrefois César, en même temps, Dictoit à quatre en styles différent.
( Chant Ier, Oeuvr, T. I. p. 5.
Ce qui distingue éminemment cette fable , c’est la vivacité de son action. Tout y a vie, tout y est en mouvement : relisez les invectives de l’insecte : Le moine disoit son bréviaire, Il prenait bien son temps ! une femme chantoit : C’étoit bien de chansons qu’alors il s’agissoit !
Tout cela est marqué au coin de l’enjouement le plus délicat, comme de la plus exquise naïveté.
(7) Le coche arrive au haut. Voilà une de ces irrégularités qui ne vont bien qu’à La Fontaine : les règles sont bien plus sévères. Malherbe s’étoit donné la même licence, à l’exemple de ses devanciers ou contemporains Théophile, Ronsard, Racan, etc. Ces poètes faisoient de peu à peu un seul mot : La Fontaine s’est cru en droit d’en faire autant pour celui-ci.