La nation des Belettes,
Non plus que celle des Chats,
Ne veut aucun bien aux Rats ;
Et sans les portes étrètes
De leurs habitations,
L’animal à longue échine
En ferait, je m’imagine,
De grandes destructions.
Or une certaine année
Qu’il en était à foison,
Leur Roi, nommé Ratapon,
Mit en campagne une armée.
Les Belettes, de leur part,
Déployèrent l’étendard.
Si l’on croit la renommée,
La Victoire balança :
Plus d’un guéret s’engraissa
Du sang de plus d’une bande.
Mais la perte la plus grande
Tomba presque en tous endroits
Sur le peuple Souriquois.
Sa déroute fut entière,
Quoi que pût faire Artarpax,
Psicarpax, Méridarpax,
Qui, tout couverts de poussière,
Soutinrent assez longtemps
Les efforts des combattants.
Leur résistance fut vaine :
Il fallut céder au sort :
Chacun s’enfuit au plus fort,
Tant Soldat que Capitaine.
Les Princes périrent tous.
La racaille, dans des trous
Trouvant sa retraite prête,
Se sauva sans grand travail.
Mais les Seigneurs sur leur tête
Ayant chacun un plumail,
Des cornes ou des aigrettes,
Soit comme marques d’honneur,
Soit afin que les Belettes
En conçussent plus de peur,
Cela causa leur malheur.
Trou, ni fente, ni crevasse
Ne fut large assez pour eux,
Au lieu que la populace
Entrait dans les moindres creux.
La principale jonchée
Fut donc des principaux Rats.
Une tête empanachée
N’est pas petit embarras.
Le trop superbe équipage
Peut souvent en un passage
Causer du retardement.
Les petits, en toute affaire
Esquivent fort aisément ;
Les grands ne le peuvent faire.
« Le Combat des Rats et des Belettes »
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 4…..Etroites. La rime veut qu’on prononce étrettes,
comme on le faisait autrefois, et comme on le fait encore en certaines provinces. C’est une indulgence que les poètes se permettent encore quelquefois. «
V. 17. Plus d’un guéret s’engraissa.
Ce ton sérieux emprunté des récits dé bataille d’Homère, est d’un effet piquant, appliqué aux rats et aux belettes.
V. 50. N’est pas petit embarras.
Il fallait s’arrêter à ces deux vers faits pour devenir proverbe. Les six derniers ne font qu’affaiblir la pensée de l’auteur. (Le Combat des Rats et des Belettes)
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
( Pantagr. Liv. IV. ch. 14.) On lit dans le P. Charlevoix cette particularité applicable à notre apologue : « Les chefs Iroquois, au nombre de trois, se distinguoient par des plumes ou queues d’oiseaux plus grandes que celles de leurs soldats». ( Hist. de la Nouv. France, T. I. L. IV.p. 229.)
(3) Des cornes, Phèdre :
Duces eorum qui capitibus cornua .
Suis ligârant….lire la suite
Commentaire littéraire et grammatical, par Charles Nodier,1818.
Plus d’un guéret s’engraissa – Cette hyperbole agrandit les proportions du sujet; elle nous prépare à une énumération épique.
Sur le peuple Souriquois. – Voilà cette nation caractérisée par son nom. Nous savons déjà que son chef s’appelle Ratapon, et tout le monde connoit Ratopolis sa capitale. L’invention de La Fontaine a pris tant de vraisemblance sous sa plume, qu’il n’y a point de vérité historique plus présente à notre imagination.
Quoi que pût faire Artarpax, – Il falloit peut-être s’en tenir à Ratapon. Ces noms composés ont du sel dans le grec de la Batracomyomachie, parce-qu’ils sont empruntés de la langue même. En françois ils ne sont que bizarres.
N’est pas petit embarras. – Ces vers sont excellents. En étendant sa pensée dans les six derniers, le poète l’affaiblit.