Pierre Gaubert
A mes confrères de la Société académique du Puy.
Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe,
Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope,
A dit Boileau. Je crois qu’il se trompe en ce point.
On peut changer de route et ne s’égarer point;
Molière savait trop son théâtre et le monde.
De tant d’esprits divers une étude profonde,
Pour aplanir la voie à de hautes leçons,
Enseignait à son art différentes façons ;
Et chez lui la petite pièce
À côté de la grande était un tour d’adresse ;
Si bien que dans ses goûts le public satisfait
Des loges au parterre en masse applaudissait.
Du grave et du plaisant le mélange agréable
Trouverait au besoin un appui dans ma fable.
Sur l’édit de sire Lion ,
A grands cris publié par maître Aliboron
Aux carrefours des bois, sur les monts, dans les plaines,
Des animaux venus de régions lointaines
S’étaient réunis en congrès,
Pour but et pour devise adoptant le progrès.
La tâche n’était pas petite ,
Mais pour la bien remplir quelle troupe d’élite !
Le Castor, maître-expert à diriger les eaux ,
Fondant sur pilotis magasins et châteaux ,
Et trouvant en lui seul pour suffire à son œuvre
Architecte et maçon, charpentier et manœuvre;
Et l’Ours, penseur profond, et plein de gravité
Comme un doyen de faculté ;
Et l’Eléphant dont la vaste carrure
De sa rare sagesse à peine est la mesure ;
Et la Taupe qui dans le sol
Creuse chemin couvert, tranchée et galerie,
Ainsi qu’un sapeur du génie Sous les murs de Sébastopol ;
Et le Renard surtout, esprit souple et fertile,
Vrai Talleyrand à quatre pieds,
Par qui pouvaient le mieux être conciliés
Les avis différents , chose assez difficile,
Les savants n’étant pas d’humeur toujours docile.
Que sais-je encor?… Non moins intelligent
Des habitants de l’air était le contingent.
Car il en est chez eux , comme les Hirondelles ,
Qui passent, tous les ans, et les monts et les flots.
Et d’un autre hémisphère apportent des nouvelles
Pour les hommes des champs et pour les matelots,
Du temps et des saisons leur voix est l’interprète ;
Tellement que Laensberg, en son docte almanach.
Auprès d’eux n’est qu’un faux prophète
Qui du froid et du chaud parle ab-hoc-et-ab-hac.
Pour achever la kyrielle.
Là figuraient aussi ces fileurs aux longs bras
Qui sur nos murs tendent leurs lacs
Fabriqués en fine dentelle,
Si fine que le Puy n’en fait pas de plus belle;
Là, ces autres fileurs, empruntés aux Chinois ,
Tissant d’argent ou d’or leur couche mortuaire
Dont les débris, changés en étoffe légère,
Sont dignes de vêtir les belles et les rois;
Là, ces républicains vivant en monarchie,
Dans des gâteaux de cire entassant l’ambroisie,
Et dont Phalanstériens, s’il en revient jamais,
Apprendront le travail avec l’ordre et la paix.
Voilà, j’espère, une assemblée,
Quoique j’en passe et des meilleurs,
Capable d’imposer le respect aux railleurs.
La foule était émerveillée ;
Et, sans trop rien comprendre à de fort beaux discours
Où l’on parlait de tout et de quelque autre chose,
Patiemment et bouche close
Elle en suivait l’interminable cours.
Cependant, en un coin du tranquille auditoire
Où dominait l’oreille à cornet allongé,
Un groupe somnolent par l’exemple engagé
En bâillements discrets se tordait la mâchoire.
Tout à coup un long cri, ronflant, retentissant,
Poussé par un poumon puissant,
Eveilla les échos et frappa rassemblée;
Un moment, la séance en fut même troublée :
Et c’était maître Aliboron,
Lui, choisi par la Conférence
Pour appariteur et clairon,
Qui commettait l’irrévérence.
On vous le tança d’importance.
Mais le sot animal, au lieu d’en rester là,
Tomba de Charybde en Scylla
Par sa naïve impertinence.
« Il se peut, brailla—t—il en voulant s’excuser,
» Que ces Messieurs aient du génie,
» Et tant s’en faut que je le nie ;
» Mais ils n’ont pas du moins le don de m’amuser.
» Si c’est ma faute, hélas! je la confesse entière.
» À cette énormité, haro!!! s’écria-t-on.
« Eh ! dit entre les dents son voisin, le Mouton,
» Ni moi je ne m’amuse guère.
» L’Ane a sans doute en tort de prendre un si haut ton,
» Mais au fond je l’approuve.» Or, la gent moutonnière
Comptant beaucoup d’amis dans la réunion,
De proche en proche à cette opinion
On se rangeait en nombre formidable.
Une désertion eut été regrettable.
Le Renard voulut y parer,
Et, sans plus de détours :
« Chers et dignes collègues,
» Veuillez, dit-il, considérer
» Que certains auditeurs déjà tirent leurs grègues.
« Il faut les retenir, ce sont de braves gens,
» Doctes fort peu, mais pleins de sens :
» Au succès de notre entreprise
» Leur faveur, selon moi. mérite d’être acquise.
« Quand on plaît, on réussit mieux :
» J’estime donc que dans cette occurrence
» Nous devons éviter surtout d’être ennuyeux. »
Et donner quelque place au moins par tolérance
» A des sujets moins sérieux.
» Sur cette motion au programme imprévue ,
Un débat s’engageait, bruyant et sans issue :
« Ça , reprit le Renard, cette discussion,
» Sans convaincre personne au moins prouve une chose :
» C’est la nécessité d’une concession ,
» Et de plus fort je la propose.
» Sans cela point d’accord. Je m’en rapporte à l’Ours;
» Sa voix des bons esprits m’assure le concours.
» L’Ours, quoique très-flatté , fit pourtant la grimace ;
Sa gravité craignait que l’on n’ouvrît les rangs
Aux baladins, aux Gilles, aux Bertrands :
Il en aurait quitté la place.
Mais on le rassura ; car il n’en était rien :
Le Renard n’entendait qu’un badinage honnête.
Qui donnât à ce jour un certain air de fête.
Ainsi l’on fit, et l’on fit bien.
A l’Ane, cela va sans dire ,
On ne fit pas marchander son pardon ;
L’Ours même fut surpris quelquefois à sourire ,
Et chacun retourna content dans son canton ,
Les orateurs de l’auditoire,
L’auditoire des orateurs ;
Et, si l’en se apporte à ce que dit l’histoire ,
Ce concert du progrès abrégea les lenteurs.
10 septembre 1855
(Un Congrès d’Animaux)
Pierre Gaubert – 17??