Henri-François-Joseph de Régnier
Romancier et poète – Le Corbeau et le Renard
Le Corbeau et le Renard, par Henri de Regnier.
Le Corbeau et le Renard, par Henri de Regnier – 1883.
Ésope, fab. 204, (Coray, p. 131 et 132. — Babrius, fab. 77, même titre. — Aphthonius, fab. 29, Fabula Corvi et Vulpeeulae, monens ue fraudulentis credatur.—Tzetzès, chiliade X, 352. — Phèdre, livre I, fab. 13, Vulpus et Corvus. — Romulus, livre I, fab. 14, Vulpus et Corvus. — Roman du Renart (aux manuscrits de la Bibliothèque nationale, fonds français, n° 371, fos 47 et 43 ; edition Méon , tome I, p. 267-274, vers 7187-7382). — Marie de France, fab. 14, d’un Corbel qui prist un fromaiges (comparez la fable 51). — La Farce de maistre Pierre Patelin, scène VI, vers 438-453 (édition Génin). — Haudent, 1ere partie, fab. 122, d’un Corbeau et d’un Regnard. — Corrozet, fab. 11, du Renard et du Corbeau. — ßoursault, Ésope à la ville ou les Fables d’Ésope, acte III, scène IV, le Corbeau et le Renard. — Le Noble, fab. 69, du Renard et du Corbeau. La flatterie. — M. Soullié, dans l’ouvrage intitulé : La Fontaine et ses devanciers (Paris-Angers, 1861), a suivi, comme il dit, ce sujet « à travers les âges, » et, dans divers chapitres, il apprécie comparativement la manière dont l’ont traité la plupart des auteurs, soit anciens soit du moyen âge, mentionnés par nous dans les lignes qui précèdent.
Mythologia aesopica Neveleti, p. 250, p. 344, p. 364, P. 397, p. 497.
Cette fable a été reproduite dans le Recueil de poésies chrétiennes et diverses, tome III, p. 358 (par erreur, pour p. 362).— Elle est dans les Manuscrits de Conrart (bibliothèque de l’Arsenal, 19 volumes in-folio, n° 283o, tome XI, p. 533) ; et dans le Manuscrit Yf , n°8, in-4°, de la bibliothèque Sainte-Geneviève.
Apulée, à la fin de ses Florides, nous donne une double version du Corbeau et du Renard: d’abord un développement assez prétentieux, puis le résumé suivant : Corvus, ut se vocalem probaret, quod solum deesse tantae ejus formae Vulpus simulaverat, crocire adorsus, praedae, quam ore gestabat, inductricem compotivit. — Horace fait allusion à cette fable dans la satire V du livre II (vers 56). C’est ainsi du moins que la plupart des commentateurs, et en particulier le vieux scoliaste Acron, entendent los mots : Corvum deludet hiantem. — « En supposant réellement à la Fontaine l’objet d’être entendu des enfants, de leur plaire et de les instruire, cette fable est assurément son chef-d’œuvre, » dit J. J. Rousseau au livre II d’Emile ; puis, pour prouver qu’il ne faut pas faire apprendre de fables aux enfants, il entre dans une minutieuse analyse, et jugeant le chef-d’œuvre, comme nous l’avons vu juger la fable I, au point de vue de la morale et de l’éducation, il y voit pour reniant « une leçon de la plus basse flatterie, » et en fait une critique qui n’épargne rien, mais dont la sévérité est à nos yeux peu convaincante (voyez la XVIIe leçon, déjà citée, de 31. Saint-Marc Girardin, tome II, p. 99 et suivantes). Cette critique, Rousseau la rappelle au livre IV – L’Emile, et y revient encore en deux mots dans la Nouvelle Héloïse (5e partie, lettre III). — Voltaire, non comme moraliste, mais comme poète, ne paraît pas non plus goûter beaucoup la fable II (voyez au tome XXXIX de ses Œuvres p. 216, et au tome XLVXII, p. 268). — Lessing a traité le même sujet dans sa fable 15 du livre II, mais il y a fait un changement qui sans doute eut agréé à Rousseau. Au lieu d’un fromage, c’est un morceau de viande empoisonnée que lâche le Corbeau et que happe le Renard, et l’auteur termine par cet honnête vœu : « Puissiez-vous, par vos perfides louanges, ne jamais gagner que du poison, flatteurs maudits ! » — Parmi les fables de la Fontaine, celle-ci est la première qui corresponde à l’une des fables ésopiques choisies par le roi Louis XIV, « pour orner, nous dit Benserade, le Labyrinthe de Versailles. »
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenoit en son bec un fromage1.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
« Hé! bonjour, Monsieur du Corbeau3.
Que vous êtes joli! que vous me semblez beau!
Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois3. »
À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie4.
Qui cuide estre auenant et biau,
Tenoit en son bec un fourmage.
On y lit un peu plus loin, clans le discours du Renard :
« Si vous chantiez comme chantait votre père,
le cuid’ qu’en lout le bois n’éust
Oisel qui tant à tout pléust. »
…. le malheureux Corbeau
Qui de son bec ouvert laissa choir un fromage.
— Apulée est imitatif aussi dans sa prose : Oblitus offulae, quam mordicus retinebat, toto rictu hiavit.
Le Renard s’en saisit, et dit : <« Mon bon Monsieur,
Apprenez, que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute8. »
Le Corbeau, honteux et confus6,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Notes sur la fable :
1. Dans deux des cinq fables grecques données par Coray, ce n’est pas un fromage, mais un morceau de viande que tient le Corbeau. — La fable du Renart et du Corbel, citée par Robert (Fables inédites, etc, tome l, p. 9 et p. CIXVIII) comme extraite du recueil de fables du quatorzième siècle qu’il désigne par le nom d”Ysopet I***, commence ainsi :
– Sire Tiercelin le Corbiau,
2. Voyez livre XII, fable xv, vers 128. — On lit dans Rabelais (livre II, chapitre IV, tome I, p. 211) : « Monsieur de l’Ours; » et avec un nom de personne (livre I, chapitre XXXIII, tome I, p. 122): « Lepaoure Monsieur du Pape. » — Le Manuscrit de Sainte-Geneviève porte: « Monsieur le Corbeau. »
3. Ce vers a trouvé grâce aux yeux de Voltaire ; il en fait remarquer l’élégance (tome XXXIX, p. 220). —Apulée, à l’endroit cité, rend ainsi la même idée : tarn pulchra ales, quae ex omni avitio longe paecellit. — La Fontaine rappelle lui-même, dans la fable I du livre II (vers 36 et 37), ces flatteries de maître Renard :
Ce sont des contes plus étranges Qu’un Renard qui cajole un Corbeau sur sa voix.
4. (” Ce vers est admirable : l’harmonie seule en fait image. Je vois un grand vilain bec ouvert; j’entends tomber le fromage à travers les branches. ” (J. J. Rousseau, Emile, livre II.) — Benserade, dans son XII quatrain, vise également à l’harmonie imitative, et nous montre
5. « Il est plaisant de mettre la morale dans la bouche de celui qui profite de la sottise : c’est le Renard qui donne la leçon à celui qu’il a dupé, ce qui rend cette petite scène, en quelque sorte, théâtrale et comique. » (Chamfort.)
6. Ce vers se lit ainsi dans le Manuscrit de Sainte-Geneviève :
– Le Corbeau tout piqué, tout honteux, tout confus
*** Manuscrit de la Bibliothèque nationale, fonds français, n. 1094. Le Renart et le Corbel est la fable 15 de ce recueil (f° 17).
- Jean de La Fontaine – augmentée de variantes, de notices, de notes, d’un lexique des mots et locutions remarquables, deportraits, de fac-similé, etc. Par M. Henri Regnier. 1883.