Jean de La Fontaine
Poète, moraliste et fabuliste XVIIº – Le Corbeau et le Renard
Maître Corbeau, sur un arbre perché,
Tenait en son bec un fromage.
Maître Renard, par l’odeur alléché,
Lui tint à peu près ce langage :
« Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau.
Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau !¹
Sans mentir, si votre ramage
Se rapporte à votre plumage,
Vous êtes le Phénix* des hôtes de ces bois. »
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ;
Et pour montrer sa belle voix,
Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie.
Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon Monsieur,
Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute :
Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. »
Le Corbeau, honteux et confus,
Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus.
Autres analyses :
- Le Corbeau et le Renard, analysée par A. de Closset
- Commentaires et analyses sur Le Corbeau et le Renard de MNS Guillon
- Le Corbeau et le Renard, analysée par C. Rouzé
- Le Corbeau et du Renard, analysée par Louis Moland.
- Le Corbeau et le Renard, expliquée par J.-J. Rousseau.
- Le Corbeau et le Renard, commentée par Hygin-Furcy

Analyse des fables de La Fontaine par Louis Moland 1872
1. Il y a dans ce vers deux défauts en apparence; le premier est le pléonasme qu’y voyait J.-J. Rousseau; le second, l’atténuation de l’idée qui rend le pléonasme plus choquant. En effet le premier hémistiche est positif :
Que vous êtes joli !
le second n’est que relatif :
Que vous me semblez beau !
mais si l’on y réfléchit, on verra que le premier est un tour général, et que le second renferme une formule adroite et intéressée par laquelle le renard rappelle sur lui-même l’attention du corbeau. Cette redondance est fort heureuse, parce que le renard cherche moins à convaincre le corbeau de sa beauté que de l’admiration qu’elle lui inspire. Il y a d’ailleurs d’un mot à l’autre une gradation suffisante. (Nodier)
Analyses des fables de La Fontaine par A. de Closset – 1867
Esope, 216, 208 ; Phèdre, 1,15. Au moyen âge ce sujet a excité la verve de plusieurs poètes, notamment de Marie de France et des auteurs du Roman du Renard et de la Farce de l’Avocat Pathelin.
Maître corbeau (1) , sur un arbre perché,
Tenoit en son bec un fromage ,
Voici le récit que l’auteur anonyme de la Farce de maître Pathelin a mis dans la bouche de Guillemette :
**Il m’est souvenu, de la fable
Du corbeau que estoit assis
Sur une croix de cinq à six
Toyses de hault, lequel tenoit
Un fromaige au bec: là venoi
Un renard qui vit ce fromaige;
Pensa à luy: Comment l’auray-je?
Lors ae mist dessouz le corbeau :
Ha! Fist-il, tant a le corps beau.
Et ton chaut plein de mélodie!
Le corbeau, par sa cornardie,
Oyant son chant ainsi vanter,
Si ouvrit le bec pour chanter.
Et son fromage chet à terre;
Et maistre renard le vous serre
A bonnes dents, et si l’emporte.
Ainsi est il, je m’en fais forte,
De ce drap; vous l’avez hapé (2)
Par blasonner, et atrapé
En luy disant de beau langaige
Cumme fist renard du fromaige.
**Un noir corbeau dessus un arbre estoit
Et en son bec un fromage portoit.
(Corrozet, fab. II.)
Le titre de maître, aujourd’hui commun aux avocats, aux avoués et aux notaires, se rencontre dans la Farce de Pathelin et dans Rabelais. Dans le premier ouvrage on parle de maître Reynard; dans celui du curé de Meudon, de monsieur de l’Ours, monsieur du Lion.
(1) Tenait en son bec un fromage. Ce vers se trouve dans la table 1er d’Ysopet I , qui commence ainsi le même sujet :
Sire Tiercelin le corbeau,
Qui ouide (croit) être avenant et beau
Tenait en son bec un fromage.
Que vous êtes joli, etc. J.-J. Rousseau blâme ce vers comme constituant une cheville, une redondance inutile. Ce jugement paraît sévère : entre les deux épithètes, il n’y a pas une vaine synonymie, mais une véritable gradation : la première (joli ) exprime l’idée d’avenant, de ce qui plaît; la seconde (beau) exprime un sentiment d’admiration. Chamfort ne partage pas l’avis de l’auteur d’Emile; à ses yeux, le discours du renard est un chef-d’œuvre.
Ramage, ne se dit que du chant des petits oiseaux. Langage de la flatterie.
Se rapporte à votre plumage, répond à votre plumage, l’égale…lire la suite