Abel Fabre
Abbé, instituteur et fabuliste XIXº – Le Décrotteur
Sur un trottoir de la belle Lutèce,
Un décrotteur, en ses vieux ans,
Privé de fortune et d’enfants
Demandait au labeur le pain de sa vieillesse.
La paresse engendre le mal,
Disait-il, le travail ennoblit et soulage ;
Débauche, paresse et chômage
Amènent droit à l’hôpital.
Travaillons ! Maison vain j’appelle
Souliers poudreux, souliers mignons,
Nouveau chien de Jean-de-Nivelle,
Chacun me montre les talons,
Le diable seul peut dire où nous allons.
En ce siècle tout montre ou prend forme nouvelle.
Les ateliers obscurs se dressent en salons,
Les vilains en banquiers, les femmes en ballons,
Tout grossit, hors ma clientèle.
» Un prêtre l’écoutait. Il l’aborde et lui dit :
« J’entends que du siècle on inédit,
Bonhomme ! Cachez-vous ou montez dans la nue.
Car tout le monde l’applaudit.
Au fait, vous insultez le Dieu qui vous nourrit ! »
« — Eh ! puis-je le vanter ce grand siècle maudit.
Dont la main pleine d’or m’a jeté dans la rue ?
Je ne voudrais, pour mes vieux ans,
Que du travail, seul bien des pauvres gens,
Et vainement, à plein courage,
Du geste et de la voix je demande l’ouvrage :
Partout, des pieds indifférents…..
Ah ! j’en aurais bien davantage
Si, comme vous, Monsieur, je brossais le dedans. »
Abel Fabre