Eugène Mazelle
Homme de lettres et fabuliste XIXº – Le Député de Clocher
Les citoyens d’un bourg (au bon temps monarchique),
Gens d’un certain parti dont la foi politique
Est le seul culte du clocher,
Avaient élu, voyant en ceci leur affaire,
Un Député qui, pour les allécher,
S’était fait fort de satisfaire
Leurs moindres intérêts : théâtre, tribunal,
Redressement de quais, creusement d’un canal,
Places, il aurait tout…. : mais semblable promesse
N’engage que fort peu ; l’on en prend, l’on en laisse.
Aussi notre homme, une fois installé ,
Songe à jeter pour lui seul le filet :
Il avait fils, neveux, fort nombreuse famille ;
Il fallait des écus pour bien doter sa fille :
Il postula beaucoup : on en fit un préfet.
On pourvut les siens à souhait;
Quant à la gent électorale :
— « J’y songerai, dit-il, mais après ma maison ! »
Aussitôt électeurs de crier : Trahison,
Infamie, opprobre, scandale!
Tout pour soi !… négliger son clocher, ses amis ;
(Passe encor, si c’était seulement le pays):
C’est un crime que rien n’égale !…
— « Messieurs, leur dit l’Elu, ne criez pas si fort :
Vous m’avez envoyé pour faire vos affaires ,
Si les miennes ici m’occupent les premières,
En logique, ai-je un si grand tort? »
Électeurs de clocher, hommes aux doigts rapaces,
Si, cherchant pour élu quelque quêteur de places.
Vous avez mis la main souvent sur un ventru,
De quoi vous plaignez-vous? vous l’avez bien voulu.
Eugène Mazelle