Adolphe Bidault
Juge, poète et fabuliste XIXº – Le dernier ami
Un homme a tout perdu ; biens, famille, patrie.
Sous le poids du malheur son âme s’est flétrie ;
Abandonné du monde, il est seul désormais,
Et son bonheur passé ne reviendra jamais.
Qui donc adoucira sa profonde misère ?
Son chien, fidèle ami, ne s’inquiétant guère
Si le gîte n’est plus, comme il l’était jadis,
Chez son maître opulent un heureux paradis ;
Admis à partager un repas trop modeste.
Avec joie il reçoit le morceau qui lui reste.
Loin donc de faire au maître un seul instant défaut,
Ne jamais le quitter, c’est tout ce qu’il lui faut.
Si, vaincu par le sort, notre homme, à certaine heure,
S’exaspère et gémit, son chien gémit et pleure.
Oui, pour calmer ses maux et ne pouvant parler,
Par sa tendresse au moins, il veut le consoler.
Puis, quand sous la douleur, l’infortuné succombe,
Son fidèle gardien le suit jusqu’à la tombe ;
Puis enfin on le voit (cela n’est-il pas beau ?)
Lui-même, inconsolé, mourir sur ce tombeau.
Et qu’on ne vienne point ici traiter de fable
Du plus vrai des amis cette fin lamentable ;
Mais qui, sans doute, a pu faire dire si bien
Que ce qui vaut le mieux dans l’homme, c’est le chien.
Adolphe Bidault