Fables du bonhomme de la vallée du Perche :
Au temps du bon Jupin, la gent marécageuse
Voulut un roi :
Un monarque devait la rendre plus heureuse.
Elle changea de thèse, et chacun sait pourquoi.
Sa Majesté la grue,
De ses sujets repue,
Compta bien peu de jours, et mourut sans enfant…
Voilà donc le trône vacant.
Le peuple décimé s’assemble au marécage ;
Chacun coasse et fait tapage ;
Au loin a retenti le nom d’égalité…
Vive la liberté !
Tout rentre sous les lois de la démocratie.
Dès lors, président ou consul
Fait la guerre et la paix ; le peuple reste nul.
Les grenouilles enfin sortent de l’inertie ;
Partant, rumeur et conspiration,
Un brochet, fin politique,
Avait guetté le temps, l’occasion.
— Nommez-moi protecteur de votre république :
De l’Orient à l’Occident
Je réduis, dans un jour, vos rivaux à néant.
Il a dit : on délibère,
Et le sire est élu chef de la grenouillère.
Au nouveau tout est beau ;
Aussi, voyez la joie à la côte et sur l’eau !
Maître brochet, soldat despote,
Et vous pille et vous frotte
Ses bons sujets.
Les grenouilles de fuir, et, d’un ton lamentable,
De demander au ciel un joug plus supportable.
Jupin est las d’exaucer leurs souhaits ;
Pourtant il leur accorde un prince débonnaire :
Non plus un soliveau, mais un roi bon, un père.
Qui le croira ? le peuple sautillant
Se plaint, murmure,
Et, dans son gros bon sens, tout à coup se figure
Qu’un roi de sa façon serait plus bienveillant.
Vite à l’œuvre ! Les sots font choix d’une sangsue
Qui, s’attachant à leurs trésors,
Prend et dévore tout ; puis, sur la gent déçue
Lance force recors.
D’insectes, une fourmilière
Vient aider le monarque à ronger ses sujets ;
Et chacun se donne carrière
En dépit des soupirs, des cris et des regrets.
Cessez vos cris, dames du marécage,
Force reste à la loi ;
C’est votre ouvrage ;
En vous laissant saigner, criez : Vive le roi!
“Le dernier Roi des Grenouilles”