Un fauteuil était vieux, et partant peu solide ;
Celui qui s’en servait, lui-même peu valide,
Pour en user ainsi que ses aïeux,
Tout en le rembourrant ou de crin ou de laine,
Et le restaurant de son mieux,
Perdait, au bout du compte, et son temps et sa peine ;
Car les pieds, qui duraient depuis tantôt mille ans,
Devaient toujours rester les mêmes.
On y voyait comme emblèmes saillants
Figures de blason, sceptres et diadèmes
A remonter aux plus anciens parents.
Donc, pour le bien de la famille,
Il les fallait garder tels qu’ils étaient transmis,
Et l’on n’aurait osé toucher une cheville
Sans consulter le fidéicommis ;
Car il était écrit sur ce fauteuil antique :
« Le seigneur à qui j’appartiens
En me perdant perdra ses autres biens. »
Le plus que l’on pouvait pour ce meuble gothique
On reculait l’heure critique ;
Mais qui peut s’assurer de ne redouter pas
Le temps, qui, par sa longue injure,
Mine d’une main lente et sûre
Toutes les choses d’ici-bas,
El les meilleures et les pires,
Et les fauteuils et les empires,
Sans s’arrêter jamais, sans jamais être las ?
Le temps, qui détruit tout sur la terre où nous sommes,
Du siège, enfin, fit tomber les supports,
Et de ce coup fatal, œuvre de ses efforts,
On accusa la main des hommes.
“Le Fauteuil”