Un jeune geai, tout fier de son plumage,
Voire même de son ramage,
(Telle est la jeunesse aujourd’hui),
Avec un ton de petit-maître,
Dans le bois qui l’avait vu naître
Se plaignait de mourir d’ennui.
— Quoi ! disait-il, avec la bécasse, la pie,
Le corbeau, la chouette et divers laids oiseaux
Communs, insipides et sots,
Je passerais ici toute la vie !
Moi geai, je serais vu, regardé du même œil
Qu’un merle, qu’un pinson, un linot, un bouvreuil !
Jamais de mes couleurs les nuances moirées
Par de vrais connaisseurs ne seraient admirées !
Ce séjour tout au plus convient à des bisets ;
Pour logis il me faut les plus vastes forêts ;
Je veux aller au loin étaler les merveilles
De mes ailes d’azur à nulle autre pareilles,
Je veux du plus beau perroquet
Rabattre en un mot le caquet.
En ce moment des hirondelles,
Qui pardessus le bois volaient à tire-d’ailes,
Font halte et sur l’arbre voisin
Auprès de notre geai vont s’abattre soudain.
On s’aborde, on babille, on parle de voyage,
Bref, les dames au noir corsage
Décident notre jeune fat
À venir visiter avec elles la plage
Et les belles forêts de l’africain climat.
Déjà du grand départ les phalanges ailées
Attendent le moment sur la rive assemblées.
Le signal est donné : tout part, aux premiers rangs
Mon vaniteux oiseau se pavane et s’admire.
Mais tandis que, dans son délire,
Il tourne, pirouette et voltige en tous sens,
Ainsi que se dissipe une vapeur brumeuse,
Disparaît devant lui la troupe voyageuse.
Pour la rejoindre, en vain, il s’agite, il fend l’air,
Contre un vent qui s’élève il se raidit, il lutte,
Il s’épuise en efforts, chancelle et dans la mer
De fatigue accablé culbute.
Vous qui, de vos aïeux dédaignant le pays,
Voulez tenter fortune et briller à Paris,
Apprenez, jeunes gens, que cette mer de monde
Est, comme l’Océan, en naufrages féconde.
“Le Geai et les Hirondelles”