Paul Vallin
Poète, romancier et fabuliste contemporain – Le Geai et l’Enfant
Le Geai est bel oiseau couronné d’une huppe,
Avec son roux d’automne et ses plumes ‘’bleues de geai’’.
Mais parure ne fait pas toujours habit de moine,
Après Margot la Pie, il est le plus mal vu
Des oiseaux de nos bois, et son cri nous agace !
Tout cela il le doit au péché d’un ancêtre,
Le père Adam des Geais qui voici deux mille ans,
Trahit la mère de Dieu qui fuyait en Égypte.
Marie mère de Jésus quittait la Palestine
Fuyant soldats d’Hérode égorgeant les enfants.
Elle courait d’épouvante, emportant l’enfant-roi
Loin de cette terre de morts, de guerres et d’assassins.
Elle aperçut en plaine un homme semant son blé :
– « Eh là, le laboureur, peux-tu me protéger ?
J’entends le roi Hérode et sa troupe qui pourchassent,
Montés sur leurs chevaux, les mères et leurs enfants.
Cache-moi, je t’en supplie, au creux de ton sillon. »
– « Mais fichtre, ma pauvre femme, ne seriez point cachée
Au milieu de mon champ, le blé n’est pas poussé ! »
N’en pouvant plus de fuir, Marie tombe dans le creux.
Alors de sa menotte, l’enfant-dieu a touché
Le grain du laboureur qui s’est mis à germer.
Il a monté, épié, en l’espace d’un instant,
Il s’est mis à mûrir, la cigale à chanter,
Jamais le laboureur ne vit de si beaux blés.
Il empoigne sa faucille, coupe la première javelle
Et la pose en vêture sur la mère et l’enfant.
Puis quand le fer au poing, les yeux tachés de sang,
Arrivent les cavaliers d’Hérode qui interrogent :
– « Laboureur as-tu vu une femme qui s’enfuyait
En portant dans ses bras un enfant nouveau-né ? »
– « Sire roi, j’ai vu cette mère, et l’enfant qu’elle portait,
Mais c’était dans le temps où je semais mon blé. »
Branché là, sur le chêne, le Geai, cet infâme traître,
Chantait d’un certain ton sa délation malsaine :
– « Fouillez dans le sillon ! Cherchez sous la javelle ! »
L’Hirondelle brusquement a jailli de la nue,
Criant et jubilant pour brouiller la chanson.
Ainsi abasourdi, le roi n’a pas compris
Le message de ce Geai, et il s’en est allé,
Emmenant ses soudards à grand vacarme de fer.
– « Hirondelle, bel oiseau qui a servi mon fils,
A dit la mère de Dieu quand elle se fut levée
De la javelle coupée, tu seras pour toujours
Un symbole d’espérance annonçant le printemps.
Quant à toi vilain Geai, qui voulut perdre l’Enfant
En criant vilainement, ton cri sera toujours
Comme le bruit du péché de ta méchanceté ».
Paul Vallin, Le Geai et l’Enfant