Un Paon muait ; un Geai prit son plumage ;
Puis après se l’accommoda ;
Puis parmi d’autres Paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.
Quelqu’un le reconnut : il se vit bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué,
Et par Messieurs les Paons plumé d’étrange sorte ;
Même vers ses pareils s’étant réfugié,
Il fut par eux mis à la porte.
Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d’autrui,
Et que l’on nomme plagiaires.
Je m’en tais ; et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.
Anecdote – …On est accoutumé d’ailleurs à cet acharnement avec lequel on m’impute tant d’ouvrages nouveaux. Je suis le contraire du geai de la fable, qui se parait des plumes du paon. Beaucoup d’oiseaux, qui n’ont peut-être du paon que la voix, prennent plaisir à me couvrir de leurs propres plumes; je ne puis que les secouer, et faire mes protestations…
Lettre à M. Lacombe, à Ferney, le 9 juillet 1769 – Lettres choisies de Voltaire – par Eugène Fallex, tome II, 1867.
Autre analyse:
Analyses de Chamfort – 1796.
V. 1. Un paon muait, un geai prit son plumage , etc.
Esope met une corneille au lieu d’un geai : la corneille valait mieux, attendu qu’elle est toute noire ; sa fantaisie de se parer des plumes du paon n’en était que plus ridicule , et sa prétention plus absurde. C’est Phèdre qui a substitué le geai à la corneille , et La Fontaine a suivi ce changement, qui ne me paraît pas heureux.
Lesseing, fabuliste allemand , a fait une fable où il suppose que les autres oiseaux, en ôtant au geai les plumes du paon, lui arrachent aussi les siennes : c’est, ce qui arrive à tous les plagiaires.
On finit par leur ôter même ce qui leur appartient.
Commentaires de MNS Guillon – 1803.
(1) Se panada. C’est le terme propre. Panader, faire le paon.
(2) . . . . Il se vit baffoué,
Berné, sifflé, moqué, joué. Cette accumulation de termes , dont aucun n’est synonyme, marque les vengeances diverses auxquelles il est en proie. L’impudence et le vol sont bafouée. La lourde stupidité est bernée ( voyez dans Don Quichotte, comment on berna le pauvre Sancho Pança). On siffle la sottise prétentions ( la Judith de Boyer, sifflée). On se moque de la vaine gloire. On joue, on parodie celui qui veut paroitre ce qu’il n’est pas. C’est de toutes les insultes la plus cruelle, celle qui blesse le plus directement l’amour-propre.
J. B. Rousseau :
Et tout leur, saoul l’ayant berné, hué,
Croquinolé, souffleté, conspué,
Pour dernier trait son masque lui reprirent.
(L. I. Allég. II, p, 132.) (3) Il est assez de Geais à deux pieds comme lui, Mais Geais d’une autre espèce. Il va plus d’adresse à le laisser deviner au lecteur.
C’est à cette fable qu’Horace fait allusion, pour engager le poète Celsus à faire usage de ses propres richesses, et à ne pas se parer de celles que contenoit la bibliothèque palatine d’Auguste, de peur, dit-il, que si les oiseaux venoient en foule reprendre leurs plumes, la Corneille, dépouillée de ces parures empruntées, devienne la risée commune:
Ne si forte suas repetitum venerit olim
Grex avium plumas, moveat Cornicula risum.
(Epist. L. I. ép. -2. v. 18.)
C’est encore dans le même sens que Piron appelle M. de Voltaire le Geai du Paon. M. Lessing ne se contente pas de faire arracher au Plagiaire ses plumes d’emprunt: » Les Paons appercevant sur le dos de la Corneille quelques plumes luisantes de ses ailes, les lui enlèvent à coups de bec : celles-là même, ajoutent-ils, ne sauroient être à toi». (Le Geai paré des plumes du Paon).