Dieu fait bien ce qu’il fait. Sans en chercher la preuve
En tout cet Univers, et l’aller parcourant,
Dans les Citrouilles je la treuve.
Un villageois considérant,
Combien ce fruit est gros et sa tige menue :
A quoi songeait-il, dit-il, l’Auteur de tout cela ?
Il a bien mal placé cette Citrouille-là !
Hé parbleu ! Je l’aurais pendue
A l’un des chênes que voilà.
C’eût été justement l’affaire ;
Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.
C’est dommage, Garo, que tu n’es point entré
Au conseil de celui que prêche ton Curé :
Tout en eût été mieux ; car pourquoi, par exemple,
Le Gland, qui n’est pas gros comme mon petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit ?
Dieu s’est mépris : plus je contemple
Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l’on a fait un quiproquo.
Cette réflexion embarrassant notre homme :
On ne dort point, dit-il, quand on a tant d’esprit.
Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme.
Un gland tombe : le nez du dormeur en pâtit.
Il s’éveille ; et portant la main sur son visage,
Il trouve encor le Gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage ;
Oh, oh, dit-il, je saigne ! et que serait-ce donc
S’il fût tombé de l’arbre une masse plus lourde,
Et que ce Gland eût été gourde ?
Dieu ne l’a pas voulu : sans doute il eut raison ;
J’en vois bien à présent la cause.
En louant Dieu de toute chose,
Garo retourne à la maison.

Analyses de Chamfort – 1796.
V. 1. Dieu fait bien ce qu’il fait, etc….
Le simple bon sens qui a dicté cet Apologue, est supérieur à toutes les subtilités philosophiques ou théologiques, qui remplissent des milliers de volumes sur des matières impénétrables à l’esprit humain. Le paysan Mathieu Garo est plus célèbre que tous les docteurs qui ont argumenté contre la providence.
Analyse littéraire et grammaticale, Charles Nodier, 1818.
*Dieu fait bien ce qu’il fait. Sans en chercher la preuve
1. Il falloit déduire cette vérité incontestable d’un exemple plus concluant. Il a dans la nature des plantes potagères qui portent des fruits aussi petits que le gland, et des arbres sur lesquels il en croît d’aussi gros que la citrouille.
*Au conseil de celui que prêche ton Curé :
2. Tout ce discours de Garo est d’un naturel admirable. II exprime bien la ridicule satisfaction d’un ignorant content de lui-même, qui s’étend avec complaisance sur ses idées. Les compilateurs d’anecdotes ont attribué un propos tout-à-fait semblable au fameux roi de Portugal, Alphonse, dit le Sage, qui, s’il l’a tenu, ne mérite pas mieux ce surnom que le paysan de La Fontaine.
Le nom de Garo n’est pas de l’invention de notre fabuliste, comme on l’a pensé. Il l’avoit pris à Cyrano de Bergerac chez qui Molière a fait des emprunts d’une toute autre importance. C’est un des personnages du Pédant joué.