Charles Desains
Peintre, poète et fabuliste XVIIIº – Le gland et la citrouille
N’allez pas croire au moins que du bon La Fontaine
Je veuille, en ce moment, refaire le sujet.
Je n’ai garde; un pareil projet
Serait sans doute la plus vaine
Et la plus sotte des erreurs.
J’emprunte les mêmes acteurs,
Mais en leur donnant d’autres rôles.
Par malheur pour moi, leurs paroles
Ne vous feront pas oublier
Celles du divin tablier.
Avec ce ton hautain qui méprise et qui raille,
Assez commun chez la grandeur,
Une citrouille en belle humeur
De son voisin le gland frondait ainsi la taille :
Infiniment petit, atome végétal.
Toi, dont la forme est si menue
Qu’en se donnant beaucoup de mal,
A peine avec la longue vue
Un œil perçant t’apercevrait.
Tu te crois quelque chose, et ta vie est si frêle
Que du léger zéphyr agité par son aile
Une mésange t’abattrait.
Que tu dois l’affliger sur ta branche légère
Quand tu vois entre nous tant d’inégalité !
Sous mon orbe doré, je fais garnir la terre.
Et de ma forme planétaire.
Le passant stupéfait, songe à l’immensité !
— Fais, lui répond le gland, trêve à ta vanité ;
Chacun reçut sa part des dons de la nature.
Parmi les végétaux, quelquefois même ailleurs.
Les plus gros citoyens ne sont pas les meilleurs.
Seul des premiers humains j’ai fait la nourriture.
L’arbre que je produis fut longtemps vénéré
Dans les pompes du culte antique.
Et je brille en ornant la couronne civique.
Dont plus d’un front auguste est parfois décoré.
Va, tu n’es pas du ciel un enfant préféré ;
Je dis même, en réponse aux traits dont tu me blesse,
Que si de ton gros corps je n’ai pas les richesses,
Moi, c’est en m’élevant que je me suis accru.
Toi, légume sot et ventru,
C’est en rampant que tu l’engraisses. »
Ne confondez jamais, s’il faut qu’en fait d’honneur
Sur les plus méritants votre choix se concentre,
Les petits qui montrent du cœur.
Et les gros qui n’ont que du ventre !
Charles Desains, Le gland et la citrouille