Un successeur d’Ali… son nom n’importe guère
J’eusse aimé mieux savoir celui de son Visir ;
Mais nous n’avons pas à choisir,
Puisque l’histoire en fait mystère.
Ce despote, roulant je ne sais quels projets,
S’avisa de doubler le tribut ordinaire
Qu’on levoit sur tous ses sujets.
L’Edit examiné par des gens de finance,
Parut très -sage, & le Divan
Loua l’équité du Sultan.
Le Visir consterné garda seul le silence.
« C’est vous, lui dit son Maître en élevant la voix,
» Qui serez dans l’Empire exécuter mes loix.
» Que nul n’en soit exempt, que rien ne vous arrête :
» À me désobéir, il y va de la tête. »
Ce style & ces façons prendroient mal parmi nous :
Mais les Grands, peut-être, en Asie
N’ont pas l’oreille faite à des discours plus doux.
D’autres mœurs dans nos Cours ont fait naître l’Envie ;
Il est par-tout des biens & des maux dans la vie.
A quelques jours de là, mandé par le Sultan,
Le Ministre de Sa Hautesse
Se fit suivre d’un Ichoglan,
Qui portoit une lourde caisse.
D’abord il se présente aux pieds du Grand Seigneur,
Puis lui dit avec assurance :
« J’ai rempli les devoirs que m’a dictés l’honneur ;
» Regardez ces garants de mon obéissance.
» Il est temps qu’à vos yeux luise la vérité. »
Par lui-même, à l’instant, le voile est écarté.
« Dieu ! que vois-je une bière ! Oui, voilà mon asile
» Contre une injuste volonté.
» Je ne veux point survivre à votre gloire ;
» Et je ne puis trahir vos peuples malheureux ;
» Je préfère la mort ; — Ami trop généreux !…
» Mon repentir, mes pleurs assurent ta victoire :
» J’admire, en rougissant, tes sublimes avis. »
« Le Grand Seigneur et le Visir »