Un grillon vivait solitaire
Et de son trou ne sortait guère ;
Il y chantait du matin jusqu’au soir,
Et ne désirait pas être blanc, étant noir.
Un jour que, sur sa porte, il rongeait un brin d’herbe,
Sa sœur, voyageuse superbe,
La sauterelle l’aperçut
Et l’aile ouverte elle accourut :
« Hélas ! dit-elle, mon cher frère,
Que je vous plains ! la maigre chère !
Que cette herbe fanée est un triste ragoût !
Sur les ailes des vents j’arrive de l’Afrique ;
Demain, si je le veux, je pars pour l’Amérique,
Et de tous mes désirs je satisfais le goût.
Que notre sort est différent en tout ! »
« Ma sœur, dit le grillon, je vis à ma manière,
J’aime ma petite tanière ;
Elle est chaude en hiver et très-fraîche en été ;
Contre nos ennemis j’y suis en sûreté.
Cette herbe-ci me plait ; c’est mon accoutumance ;
La terre autour de moi la donne en abondance.
De nos goûts différents que sert de discourir ?
J’aime à rester, vous à courir.
Voyagez à votre aise. » Il dit : La sauterelle
En ricanant battit de l’aile,
Haussa l’épaule et s’envola.
Elle aperçut un pré bien fourni d’herbe fine,
Et s’y jeta pour sa ruine.
Un coq y vint, la vit, la prit et l’avala.
Ce fut la fin de ses pèlerinages.
Mille autres de ses sœurs meurent je ne sais où,
Et mon petit grillon chante encor dans son trou.
Voulez-vous être heureux et sages ?
N’allez point en de longs voyages
Chercher le plus, quand vous avez le prou.
“Le Grillon et la Sauterelle”