Un modeste grillon n’avait pour héritage
Qu’un trou ; mais il savait y vivre heureux et sage :
Grillon observait tout. Dès long-temps, à loisir,
Il voyait papillons, jouets d’un sort perfide,
Aux feux d’une bougie, en leur course rapide,
Aller se brûler l’aile et promptement périr.
Un soir qu’il en vit un, trompé par la lumière,
Voltiger et courir à son heure dernière :
Arrête, lui dit-il, arrête, ou le trépas !…
Ne voulant écouter que sa folle cervelle,
L’autre fait sourde oreille et ne s’arrête pas ;
Le voilà qui folâtre autour de la chandelle.
Le grillon de crier : Quelle indocilité !
Quelle rage est la tienne ! A ces mots, irrité,
L’arrogant au grillon adresse ce langage :
Le poltron quelquefois veut s’ériger en sage.
Reste, mon ami, reste en ton obscurité,
Et sache que pour moi brille cette clarté.
Le grillon ne dit mot. Notre insecte rebelle
Fit si bien qu’il parvint à se brûler une aile.
Alors, mais vainement, reconnaissant son tort,
Il dit : Mon cher grillon, j’ai mérité mon sort.
Si parmi nous, à la cour, à la ville,
On trouve peu de grillons,
C’est qu’en revanche on y compte par mille
Des insensés papillons.
“Le Grillon et le Papillon”
- Jean-Auguste Boyer-Nioche, 1788-1859