Eustache DESCHAMPS
Le Jardinier qui détruit les bons plants
Un jardinier qui un jardin avoit
Si grant, si bel, si doulz, si odourant,
D’arbres si bons, d’erbes qu’om ne sçavoit,
Que de tous fruis et de flours n’y eust plant ;
Mais li chétis par folie fist tant
Que les antes et bon plant arracha,
Ronces y mist et de lyerre y planta
Qui aux jardin et flourettes ont nuit,
Si qu’en brief temps tout bon arbre y seicha :
Qui chétif plant esliève, il se destruit.
Et quant li las ainsi son jardin voit,
De sa folour, mais à tart, se repent ;
Les espines chascun jour arreschoit ;
Mais d’orties et ronces y a tant,
Cauppetrapes et lierre qui pourprant,
Qu’à l’essarber sa chevance gasta,
Et son jardin puis ne fructifia,
Ne plant n’y ot qui peust porter bon fruit;
Ainsi jardin et jardinier fina :
Qui chétif plant esliève, il se destruit.
Tel figure ramener qui voulroit
Pourrait assez à moralité grant
De maint seigneur qui ainsi se deçoit
Par eslever le chétif non saichant
Et le planter, esrachier le sachant ;
Et ainsi pert tout ce qui l’onoura,
Et au derrain l’un l’autre destruira :
Or advisent à ce toutes et tuit,
Et pour certain chascuns véoir pourra
Qui chétif plant esliève, il se destruit.
Envoi
Princes, le plant qui bon fruit portera,
De viel estoc cilz vous proufitera :
Antez cellui et de jour et de nuit;
Du plant villain, d’espine qui poindra,
Ne d’ortie branche ne plantez jà :
Qui chétif plant esliève, il se destruit.
“Le Jardinier qui détruit les bons plants “
Voir la fable de Jean de La Fontaine “Le Philosophe Scythe“