Auguste Judlin
Poète et fabuliste XIXº – Le joueur
Un joueur obstiné, qui, pour toute ressource ,
Possédait, tout au plus, vingt écus dans sa bourse.
Depuis le point du jour, dans un salon de jeu.
Perdait tout son argent sans sortir de ce lieu.
Un écu lui restait : il le hasarde encor ;
Il saisit le cornet, l’agite et le renverse.
Mais la Fortune aussi, de qui dépend son sort,
Se déclare en faveur de la partie adverse.
Ses traits sont contractés ; que faire, pour le coup ?
Quel parti doit-il prendre ?… il en deviendra fou.
On endure la soif ; on se passe de pain ;
Mais la rage du jeu !… le jeu seul nous occupe :
On trompe son rival quand il vous croit sa dupe.
Là, c’est le vrai plaisir : les autres ne sont rien.
Tout ce riant tableau lui revient à l’instant ;
Il veut encore jouer, mais il n’a plus d’argent !
(Quand on s’est avancé dans le sentier du vice,
On a mis les deux pieds au bord du précipice.)
Tout tourne autour de lui ; le délire le prend ;
Il plonge alors la main doucement dans la poche
Du maître du logis, son voisin le plus proche.
Un exempt, déguisé, l’arrête sur-le-champ ;
Notre homme se débat : on le mène en prison.
Retiens ceci , lecteur : Si le jeu nous amuse .
Le jeu nous revient cher, pour peu qu’on en abuse ;
Tout en pipant les dés, on devient un fripon.
Auguste Judlin