Avec fracas dans tout le voisinage,
Un torrent répandait le trouble et le ravage.
Un pauvre laboureur l’implorait en ces mots:
Epargnez mon faible héritage,
Fier torrent, retenez vos flots.
Hélas ! si vous croissez tant soit peu davantage ,
Vous allez me ravir le fruit de mes travaux.
De pitié vous me faites rire,
Répondit le fougueux torrent,
Ah ! l’on a bien raison de dire
Que l’homme n’est jamais content.
Dernièrement à cette plaine
Je ne donnais qu’un filet d’eau,
Alors j’encourus votre haine,
Et vous maudites mon ruisseau.
Aujourd’hui mon urne féconde
Croit satisfaire à vos désirs ;
Chacun se plaint, chacun me gronde;
Vous êtes dans vos vœux plus changeans que mon onde,
Et plus légers que les zéphirs.
Symbole de l’ingratitude!…
Oh ! monsieur du torrent, l’apostrophe est bien rude!
Repart le sage laboureur ;
Écoutez-moi, de grâce ; et surtout point d’humeur.
Quand Phébus brûlait nos campagnes
Et que la soif nous dévorait,
Que Faisiez-vous dans nos montagnes ?
C’est sans doute alors qu’il fallait
Rafraîchir, féconder la terre.
Aujourd’hui vous venez, compagnon des frimas,
Quand on ne vous demande pas,
Répandre dans nos champs l’alarme et la misère;
Et si nous nous plaignons nous sommes des ingrats.
Vous qui des vrais amis n’avez que l’apparence,
Que me servent dans l’abondance
Tous ces dons importuns que vous venez m’offrir ?
C’est quand j’étais dans l’indigence ,
Que vous deviez me secourir.
“Le Laboureur et le Torrent”