Un indocile perdreau ,
Rebelle aux cris de la nature ,
Quitta ses bons parens, le lieu de son berceau,
Et prît l’essor à l’aventure.
Parcourant l’air d’un vol léger ,
Le premier jour n’offrit aucun danger.
Content de cet heureux présage,
Il sent redoubler son courage.
Le jour suivant, de grand matin,
Il apperçut un vieux lapin ,
Au bord de son terrier, ruminant à son aise ,
Assis sur le gazon, comme sur une chaise.
Approchons ? dit l’oiseau, je voudrais lui parler ;
Si cet être est méchant, je saurai m’envoler.
Le bon lapin , surpris de tant de hardiesse,
Dit au perdreau, par quelle gentillesse ,
Si jeune encor, avez-vous pu quitter
Vos chers parens ? on doit vous regretter.
— Je ne sais si l’on me regrette ,
Je suis parti sans tambour ni trompette :
On ne cessait de me gronder ,
A mon tour j’ai voulu bouder.
La liberté fait le bonheur suprême ;
N’est-il pas vrai, j’en juge par vous-même.
A mon âge on peut en goûter,
Répondit le lapin , j’ai de l’expérience ;
Si le méchant veut m’attrapper ,
Je redouble de vigilance.
—Apprenez quel est le chasseur ,
Notre ennemi commun , il vient comme un voleur ;
Armé d’un terrible tonnerre ,
Il nous fait, sans pitié, la plus cruelle guerre.
Mais gardez-vous, sur-tout, de l’animal fâcheux,
Qui nous flaire de loin; rien n’est plus dangereux.
— Je me moque du chien, ainsi que de son maître :
Que l’un ait le nez fin, que l’autre soit un traître ,
Tout cela m’est fort égal.
Je ne crains rien de fatal.
Vient – on ? je fends les airs avec vitesse ,
J’échappe avec beaucoup d’adresse.
Vous croyez donc me faire peur ?
Vous n’êtes qu’un vieux radoteur.
— Après une telle sottise ,
A moi , lapin, à , barbe grise ,
Que pourrais-je vous répliquer?
Adieu, docteur : rien ne doit vous manquer.
Quelque malheur qui vous survienne ,
C’est votre affaire , et ce n’est pas la mienne.
A peine eut-il fini ces mots,
Qu’il s’esquiva fort à propos.
Il étoit tems , il survint un chasseur,
Et Médor, son chien fidèle ,
Avait senti notre emplumé causeur,
Formé son arrêt avec zélé ;
Puis au mot pille ! il s’élança :
Soudain le perdreau s’envola;
Mais le plomb meurtrier termina sa carrière,
Pour n’avoir pas suivi le conseil salutaire.
“Le Lapin et le Perdreau”