Jeannot lapin, l’infortuné,
Au logis d’un savant fut un jour amené.
Ces savants ont une âme dure,
Ils se plaisent dans la torture
De maint animal innocent,
Espérant arracher à la mère Nature
Quelque secret au prix du sang.
Donc notre savant détestable
Mit Jeannot lapin sur sa table;
Mais Jeannot lapin résistait.
Secouant sa tête meurtrie,
En des soubresauts de furie,
Comme un démon il s’agitait.
« Indocile animal, stupide créature,
Dit le professeur irrité,
Pour une méchante piqûre,
C’est bien du bruit, en vérité!
Tu fais preuve à mes yeux d’une ignorance extrême;
Car, si je m’occupais de toi,
C’était pour éclaircir un superbe problème;
C’était pour résoudre une loi,
Qui, si tu comprenais, t’éblouirait toi-même.
Je sais que ce raisonnement
Dépasse de beaucoup ton humble sapience ;
Mais laisse-moi tranquillement
Poursuivre mon expérience.
Je vais, près de ton cœur, enfoncer mes ciseaux.
La tentative est délicate :
J’enlève ces deux petits os,
Et c’est fini, foi d’Hippocrate.
Quand le succès n’est pas douteux,
Souffrir un peu, c’est peu de chose;
Songe que tu soutiens une sublime cause,
Et que notre gloire à tous deux
Sur ton seul courage repose.
N’es-tu pas mieux pourvu que tes aïeux obscurs?
Pour quelques moments un peu durs,
Pauvres inconnus que nous sommes,
On nous célébrera dans les âges futurs
Comme les bienfaiteurs des lapins et des hommes. »
A ce discours rempli d’appas,
Le lapin ne répondit pas.
Il se démena de plus belle,
Si bien que, le trouvant à ses projets rebelle,
L’opérateur dut le laisser partir.
Hélas! Jeannot lapin eut à s’en repentir;
Car il vécut longtemps, mais il vécut sans gloire.
Un chou fut son histoire.
Petit peuple, menu fretin,
C’est pour vous que j’ai fait ce conte;
Suivez l’exemple du lapin,
Vous y trouverez votre compte.
N’écoutez pas les potentats,
Puissants conducteurs des États,
Qui vous rebattent les oreilles
De la gloire et de ses merveilles,
Faisant luire à vos yeux, pour la postérité,
L’espoir d’un vain éclat, chèrement mérité.
Gens de peu, gens de rien, ne soyez pas si bêtes !
Laissez les empereurs faire seuls leurs conquêtes,
Et sachez, restant sourds aux clairons des tyrans,
Que le sang des petits fait la gloire des grands.
” Le Lapin et le Savant”