Louis-François Jauffret
Littérateur, fabuliste XVIIIº – Le Lérot et les deux Lézards
Dès le retour de la froidure,
Deux petits Lézards mécontents
S’étaient tapis au fond d’une vieille masure,
Pour y dormir jusqu’au printemps.
Hélas ! que mon destin m’afflige !
Disait l’un d’eux ; pourquoi faut-il que Jupiter
Nous emprisonne , et nous oblige
A vivre engourdis tout l’hiver ?
Un habitant du voisinage,
Le Lérot, au museau pointu,
Lui répondit en son langage :
Mon ami, de quoi te plains-tu ?
De ton destin ? Je le partage.
Ainsi que toi, l’hiver ,
cloué dans ma maison,
J’y dors jusqu’au retour de la belle saison.
Je tiens que c’est un avantage ;
Et j’en suis fier avec raison.
Oui, le père de la nature
Nous chérît ; il nous a traités,
Comme on dit, en enfants gâtés.
Quand nous dormons, les bois sont privés de verdure ,
Les jardins sont flétris, les vergers sont déserts ,
Tous les vents déchaînés se battent dans les airs ,
La terre a perdu sa parure.
Le voile du sommeil nous cache ces tableaux ;
Mais sitôt que les prés , les jardins , les berceaux,
Reprennent leur éclat, leur beauté printanière ,
Notre sommeil finit : c’est au chant des oiseaux
Que nous rouvrons notre paupière.
Mes chers voisins, soyons contents ;
Et bénissons la destinée ,
Qui voulut que pour nous l’année
Fût un continuel printemps.
Les choses ici-bas, quand on les envisage,
Ont toutes un revers dont on est moins flatté.
C’est être heureux, c’est être sage,
Que de les voir du beau côté.
Louis-François Jauffret