Un lévrier, lancé sur un lapin,
Aussi prompt que l’éclair, le suit, l’atteint, l’arrête.
Morte à demi, la pauvre bêle
Cherche par ce discours à reculer sa fin.
Oh ! toi, le favori de l’homme,
Dans ses plaisirs, dans ses travaux ;
Gardien do sa maison, de ses champs, ses troupeaux,
De tes vertus qui peut donner la somme ?
N’en ternis point l’éclat, sauve un infortuné ;
Toi si puissant près du maître qui t’aime,
Qui se fie à ton zèle, aussi bien qu’à lui-même,
Il te pardonnera de m’avoir épargné.
Ami, reprit le chien, ton inexpérience
T’abuse étrangement sur l’homme et mon pouvoir.
Naître esclave, y mourir, voilà tout mon espoir,
Et le bâton ma récompense.
Si d’un homme important, à l’antichambre admis,
Tu pouvais, comme moi, voir circuler la masse
De ces solliciteurs, prélats, ducs et marquis,
Tu jugerais, alors, ce qui reste à ma race.
Intérêt personnel, ou sotte vanité,
Tout l’homme est là ; s’il secourt la misère,
C’est bien moins par humanité
Que pour se rendre populaire.
Il en eût dit plus long ; un coup de sifflet part,
Jean lapin est saisi ; le lévrier fidèle
Vers son maître l’emporte, et, pour prix de son zèle,
Le bâton l’avertit qu’il arrive trop tard.
Il faut de près juger l’humaine engeance,
Dit le lapin dans le carnier ;
Des vertus de renom il faut se méfier.
L’homme était à mes yeux l’être par excellence ;
Depuis que j’en ai fait plus ample connaissance,
Je vois qu’il n’est en tout qu’un méchant grimacier.
“Le Lévrier et le Lapin”