Etudes et analyses des fables de La Fontaine, Le Lièvre et la Perdrix, Louis Moland,1872.
Fable XVII. Le Lièvre et la Perdrix. Phèdre, I, 9.

M. Walckenaer a signalé dans les manuscrits de Conrart. t. XI, p. 536, une fable intitulée le Renard et l’Écureuil, qui commence par les quatre mêmes vers que celle-ci : « Mais le reste, dit-il, est évidemment d’une autre main que celle de La Fontaine. » M. Paul Lacroix 1 n’est pas de cet avis : il prétend que cet apologue fait allusion à la disgrâce du surintendant Fouquet, ce qui n’est pas inadmissible, et qu’il est bien l’œuvre de La Fontaine, ce qui est une autre question. Nous partageons le sentiment de M. Walckenaer; mais comme, parmi les fables qu’on a hypothétiquement attribuées à La Fontaine, le Renard et l’Écureuil, 2 à cause de la répétition du début, est de celles sur lesquelles il peut subsister quelque doute, nous croyons à propos de reproduire cette fable, afin que le lecteur en puisse juger lui-même :
Le Renard et l’Écureuil.
Il ne se faut jamais moquer des misérables.
Car qui peut s’assurer d’être toujours heureux?
Le sage Ésope, dans ses Fables,
Nous en donne un exemple ou deux.
Je ne les rite point, et certaine chronique
M’en fournit un plus authentique.Le renard se moquoit un jour de l’écureuil.
Qu’il voyoit assailli d’une forte tempête :
Te voilà, disoit-il, près d’entrer au cercueil.
Et de ta queue en vain tu te couvres la tête!
Plus tu t’es approché du faite,
Plus l’orage te trouve en butte à tous ses coups.
Tu cherchois les lieux hauts et voisins de la foudre,
Voilà ce qui t’en prend ! Moi, qui cherche des trous.
Je vis en attendant que tu sois mis en poudre.
Tandis qu’ainsi le renard se gaboit,
IL prenait maint pauvre poulet
Au gobe.
Lorsque Pire du ciel à l’écureuil pardonne ;
Il n’éclaire plus ni ne tonne;
L’orage cesse, et, le beau temps venu,
Un chasseur ayant aperçu
Le train de ce renard autour de sa tanière :
Tu paieras, dit-il, mes poulets !
Aussitôt nombre de bassets
Vous fait déloger le compère.
L’écureuil l’aperçoit qui fuit
Devant la meute qui le suit :
Ce plaisir ne lui dure guère,
Car bientôt il le voit aux portes du trépas.
Il le voit, mais il n’en rit pas.
Instruit par sa propre misère.
Ces deux derniers vers mériteraient d’appartenir à La Fontaine ; ils sont l’application et le complément des deux premiers. Les moralistes ont épilogue sur ces deux premiers vers ;
Il ne se faut jamais moquer dos misérables, Car qui peut s’assurer d’être toujours heureux?
« La certitude d’un bonheur durable, ont-ils dit, ne serait pas une raison suffisante pour se dispenser de la pitié. » Cette conclusion, qui serait fort blâmable en effet, ne ressort nullement du texte. « Il ne se faut jamais moquer des misérables, » quoi qu’il doive arriver, par humanité seulement; mais la possibilité d’être exposé soi-même à une souffrance pareille à la leur est une raison de plus d’avoir compassion de ceux qui souffrent, un moyen d’exciter en leur faveur sa sensibilité et la sensibilité des autres; et c’est tout ce que La Fontaine a voulu dire.
Ugobardus de Sulmone, dans sa fable 43, de Equo et indumentis (qui correspond à la fable XVI du livre VI de La Fontaine), dit
exactement de même :
…..Te nulla potestas
In miseros armet, nam potes esse miser.
1. Œuvres inédites de Jean de La Fontaine, Paris, librairie Hachette, 1863, p. 3.
2. On sait que l’écureuil, dans la plupart de nos patois, se nomme fouquet ou foucart, et que le surintendant avait pour devise un écureuil montant sur un arbre, avec ces paroles : Quo non ascendamt?.
Notes:
1. Sans même en excepter Briffaut …- Bon surnom de chien, puisqu’il signifie le glouton. Nous avons encore le verbe briffer, qui veut dire manger avec voracité. Rabelais a employé souvent ce mot comme terme injurieux.
2. Var. Il le pousse, et Rustaut, qui n’a jamais menti… – II y a Tayaut dans les deux premières éditions. Depuis, La Fontaine a substitué Rustaut, qui signifie campagnard, rustique.